Le papillon volait par la prairie ;
De la forêt jusqu’au ruisseau joyeux,
Il traversait la pelouse fleurie,
Bercé sur le souffle des cieux.
Autour de lui ses compagnons alertes
Peuplaient ces lieux par le soleil aimés ;
Il se penchait aux corolles ouvertes
Dont les airs étaient parfumés.
Mais certain jour, contemplant la montagne,
Il se disait dans sa fatale erreur :
« Le ciel m’est lourd ici dans la campagne.
Là-haut, solitude et bonheur.
Là, pour moi seul mille fleurs éclatantes,
Là, pour mon aile air pur et radieux !
Peut-être aussi, de ces cimes brillantes
Pourrai-je voler jusqu’aux cieux ! »
Il veut jouir du paradis qu’il rêve,
Puis, au-dessus de la plaine, des bois,
Du frais vallon, dédaigneux, il s’élève,
Fier d’être sublime une fois.
Les champs d’azur qui s’ouvrent sous son aile,
L’alpe qui porte au-dessus du brouillard
Le haut glacier, sa couronne éternelle,
Comme un phare du montagnard,
Mille parfums que des fleurs inconnues,
Purs encensoirs, faisaient monter aux cieux,
Tout l’exaltait et par-delà les nues
Poussait son vol audacieux.
Au creux du val, près du lac solitaire,
Quelques gazons le retiennent encor,
Et dans ces flots, ciel caché sur la terre,
Il a miré son aile d’or.
Puis s’élevant sans crainte vers les cimes,
A notre terre il jette un noble adieu ;
Il se balance au milieu des abîmes
Et plane au pied du glacier bleu.
Là sont des monts aux croupes arrondies,
Derniers gradins, retraite du printemps,
Qui sait verser sur ces crêtes hardies
Ses trésors les plus éclatants.
Là seulement des gazons sans mélange,
Tapis serré de verdure et de fleurs
Comme étendu, là, sous les pieds de l’ange
Que le ciel envoie à nos pleurs !
Le papillon n’en croit plus son délire ;
Fleur sans rivale, air pur, nouveau soleil !
Il se voit seul, et tout ce qu’il désire
S’étale en ce lieu sans pareil.
Il est heureux, vole à tous les calices ;
Partout il boit les parfums et le miel,
Et dans l’azur s’enivrant de délices
Il croit avoir trouvé le ciel.
Mais à la nuit, sur le mont qui se glace,
La neige envoie un souffle amer et fort ;
La fleur alors se courbe, et, quand il passe,
On croit sentir un vent de mort.
Hélas ! le jour vint réveiller la terre,
Le ciel s’ouvrit au soleil radieux,
La fleur leva sa tête solitaire,
Mais rien ne vola vers les cieux ;
Le papillon, au pied d’une anémone,
Dormait encore immobile et caché.
Dès lors le vent, jusqu’aux neiges d’automne,
Ballotta son corps desséché.