Henri Durand

Les adieux.

D’où me vient le poids qui m’oppresse ?
Au sentier s’attache mon pas ;
Fuyez, fantômes de jeunesse,
Dans mon cœur ne vous levez pas !
Hélas ! l’aurore qui s’éveille
De son manteau revêt les deux ;
Pendant que le vallon sommeille,
Jetons-lui mes tristes adieux.
 
Je te fuis, forêt solitaire
Où je cueillais la fraise, enfant ;
Où le soir, devant le mystère,
Fuyait mon pied jeune et tremblant !
Rochers ! écho de la vallée,
Toi qui répétais en ce lieu
Ma chanson si vite envolée,
Répète aujourd’hui mon adieu !
 
Pourquoi, dans l’ombre et la verdure,
Elèves-tu ce toit chéri,
Asile, où se leva si pure
Une enfance qui m’a souri ?
Hélas ! à ton âtre qui fume,
L’hiver, je n’aurai plus de feu ;
Ce n’est plus pour moi qu’il s’allume ;
Adieu, toi paternel ! adieu !
 
Pour mon front il n’est plus d’ombrage
Que le saule de mon tombeau,
Adieu, chapelle du village
Où le dimanche était si beau !
Et toi, gazon du cimetière,
Où dorment ceux qui sont à Dieu,
Fleurs du tombeau de notre mère,
Qui naissiez sous mes pleurs, adieu !
 
D’où vient cette larme brûlante
Dans mes yeux que j’ai cru séchés !...
Cascade, ruine croulante !
Secret des ombrages cachés !
Sentier où s’égarait mon âme
En s’enivrant dans son œil bleu !...
Amour ! qu’as-tu fait de ta flamme !
Hélas ! c’est ton dernier adieu !
 
A mes yeux blanchit la campagne
Où tout bientôt va m’oublier ;
Voici le col de la montagne,
La croix au détour du sentier !
Et de la plaine qui s’éveille,
Terre d’or sous un ciel de feu,
Comme un doux murmure d’abeille
Semble aussi monter un adieu.

Poésies complètes (1858)

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