Frère, tu vois déjà passer tes jeunes ans,
Ton enfance est bien loin ; la jeunesse, heureux temps,
Déjà t’échappe aussi. Le torrent de la vie
Coule encore quelques jours, puis la source tarie
Bientôt s’arrêtera. Le printemps s’est enfui ;
Voici, l’été fait place à l’automne, à son fruit ;
Et puis viendra l’hiver, l’hiver et ses orages,
L’hiver morne et glacé, qui termine les âges.
Oui, frère, mais après..., après oh ! vient la mort !
L’homme est comme la terre, on dirait qu’il s’endort ;
Mais, tandis qu’en effet la nature sommeille,
L’homme, au contraire, alors, oui, l’homme se réveille.
L’âme heureuse à toujours s’envole en liberté ;
Contente et fière enfin de planer dans l’espace,
Elle oublie aussitôt le monde qui s’efface,
Car elle a vu déjà rayonner dans les cieux
La gloire des élus, qui l’attendent joyeux.
Oh ! ce n’est que l’espoir qui soutient notre vie.
Quelquefois un doux rêve, ou bien encore l’amour,
Coupe dont ici-bas on ne boit que la lie,
Peuvent nous charmer tour à tour.
Mais nous, frère, marchons au milieu de ce monde
Sans nous laisser séduire à sa vaine beauté.
Voguons, comme le nid qui surnage sur l’onde,
Vers le bord de l’éternité.
Ils sont déjà bien loin, les rêves de l’enfance ;
Peut-être n’as-tu plus de tes jeunes soupirs.
Consolons-nous ensemble et vivons d’espérance,
Vers les cieux tournons nos désirs.
Tout passe comme une heure,
Il n’est rien qui demeure
S’il n’est pas dans le ciel.
Oh ! combien chaque année
Nous apporte de fiel !
Combien chaque journée
Et combien chaque nuit
A notre cœur enlève
De cet amour que rêve
La jeunesse en sa sève,
Jeunesse qui s’enfuit !
A celui qui repose
Echappe toute chose.
L’amitié n’a qu’un jour,
L’espoir n’a qu’un seul âge
Et n’a pas de retour.
L’homme n’a qu’un ombrage,
Sa lyre n’a qu’un son,
Et son amour s’envole
Ainsi que son idole ;
Il reste sans parole,
Il reste sans chanson.
La saison est passée
Et l’âme en est froissée.
Adieu, bonheur serein !
Mots si remplis de charmes
Qu’exhale notre sein !
Adieu, vous, tendres larmes
Fantômes séduisants,
Charmantes rêveries
Qu’on suit dans les prairies,
Par le printemps fleuries,
Doux soupirs de quinze ans !
Tout s’efface dans l’ombre
Puis sur l’horizon sombre
L’homme n’a qu’un ciel noir.
Les douleurs et les craintes
Viennent à lui le soir.
Ces flammes sont éteintes
Dont brillait son matin.
Désormais son jeune âge
N’est qu’une vaine image,
Sur ses pas est l’orage,
L’avenir incertain.
Mais nous, marchons sans peur ! Marchons avec courage !
Nous atteindrons bientôt le terme du voyage ;
Que notre vie à nous soit le chemin du ciel !
Que chaque jour qui passe en ce monde mortel
Nous soit un pas de plus vers la gloire éternelle ;
Et que chaque douleur, chaque perte cruelle,
Nous soit un poids de moins, par le Seigneur ôté,
Pour voler plus légers vers l’immortalité !