Henri Durand

Sous le sapin.

Quand je m’assieds sous le sapin,
Grave et seul dans ma rêverie,
J’oublierais là soir et matin
Tout, jusqu’aux fleurs de la prairie,
           Sous le sapin.
 
J’écoute aux branches du sapin
Le souffle des airs, à toute heure
Murmurant une hymne sans fin,
Harpe des bois qui chante et pleure
           Sous le sapin.
 
Je vois le ciel sous le sapin
A travers le sombre feuillage
Sur lequel l’hiver passe en vain,
Et je songe aux hivers de l’âge
           Sous le sapin.
 
Lors je me dis, sous le sapin :
Les fleurs de l’herbe sont bien belles,
Mais durent à peine un matin ;
Cherchons les beautés éternelles
           Sous le sapin.
 
Je voudrais, comme le sapin,
Me voiler d’un feuillage austère,
Et, cherchant en haut mon chemin,
Laisser mon ombre seule à terre
           Sous le sapin.
 
Car on m’a dit, sous le sapin,
Toute notre gloire mortelle
Pour l’âme est un rêve trop vain
Et doit dormir un jour sans elle
           Sous le sapin.
 
Toi donc qui viens sous le sapin,
Regarde-moi sans trop sourire !
Et donne-moi ta douce main ;
Je n’ai plus qu’un mot à te dire
           Sous le sapin.
 
Crois-moi, crois-moi, sous le sapin !
Tu sais combien mon âme t’aime ;
Mais notre amour, qu’il soit divin
Et qu’il s’appuie au tronc suprême
           Sous le sapin.

Poésies complètes (1858)

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