Maîtresse, tendre et noble amie au pur visage
Qu’un sévère destin me ravit sans retour,
Si quelque triste et doux hasard t’apporte un jour
Ce livre d’un enfant prématurément sage
Où je pleure le temps, hélas ! de notre amour,
Où, fidèle et pieux souci, dans chaque page
J’évoque à mes yeux seuls ton invisible image,
L’ayant lu, ferme-le pour toujours. Dis-toi bien
Que tu ne viendras plus, confiante et paisible,
Bercer pour l’endormir ton cœur contre le mien,
Ni, comme un lierre noue et serre son lien,
M’étreindre de ton corps frémissant et flexible,
Ni dans une langueur de rose qui se rompt
Sourire, suspendue à ma bouche et lassée,
Ni longuement poser tes lèvres sur mon front
Pour y souffler ton âme et boire ma pensée.
Recueille-toi, regarde en arrière, revois
Les jours évanouis comme une troupe ailée ;
Revois le lac au pied des monts, les prés, les bois,
Et ma vie à ta vie étroitement mêlée ;
Notre chambre d’amour sur la mer et les soirs
Où la fenêtre ouverte au milieu des murs noirs
Découpait dans l’azur une baie étoilée.
Embrasse d’un coup d’œil d’adieu notre bonheur,
Tout ce passé d’hier qu’il nous fut doux de vivre ;
Et puis, dans ton nouveau foyer, brûle mon livre,
Et m’écartant, malgré toi-même, de ton cœur,
Rejetant le linceul sur la volupté morte,
Détourne ton espoir de la terre : Sois forte.
Va, le destin te marque un austère devoir ;
N’y manque pas : Voici la route. Je demeure
Seul au sommet désert du coteau jusqu’au soir,
Attendant que ta forme au loin dans l’ombre meure.
Va, tu seras heureuse et fière, tu vivras
Gravement dans la paix de ton âme affermie.
Et maintenant, toi qui dormais entre mes bras,
Que la grâce de Dieu te garde, mon amie !