Charles Guérin

Un oiseau, fauvette ou grive

Mars. Un oiseau, fauvette ou grive, je ne sais,
Chante amoureusement dans les feuilles nouvelles,
Et, transi de rosée encore, sèche ses ailes
Au soleil dans le jeune azur et le vent frais.
 
Les rosiers déterrés poussent des bourgeons roses.
L’orme a verdi, l’air est rayé de moucherons,
Et le vaste jardin sonore où nous errons
Nous salue au sortir de ses métamorphoses.
 
Là, dans l’ombre, pendue à d’invisibles fils,
Une goutte d’eau ronde et limpide étincelle
Et cette perle, o bien-aimée, a pour jumelle
Une larme qui point et brille entre vos cils.
 
Vous pleurez, contre moi tendrement inclinée,
Paie, vaincue enfin par la sûre douceur
Que la nature emploie à vous fondre le cœur,
Et tout entière offerte à votre destinée.
 
Vous pleurez, sans vouloir m’entendre, infiniment,
De vous sentir si faible en face de vous-même,
Et, pauvre être docile à l’homme qui vous aime,
Le baiser qui nous lie accroît votre tourment.
 
De ma bouche pourtant la vôtre se détache ;
Votre regard troublé me fuit, et, non moins prompt,
Rougissant d’une honte heureuse, votre front
Se creuse un nid obscur dans mon sein et s’y cache.
 
Vous restez là, confuse, à vous plaindre tout bas
Alors, ô gémissante et craintive colombe,
J’attire votre tête ardente qui retombe,
Et je l’étreins avec orgueil entre mes bras.
 
Et vous levez les yeux sur moi puis, pour me plaire,
Votre visage, encore malgré vous convulsif,
D’un arrière-sourire incertain et pensif
Et pareil aux premiers soleils de l’an, s’éclaire.

Le semeur de cendres (1901)

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