Charles Guérin

J’ai dans l’âtre encore vide et sévère

J’ai dans l’âtre encore vide et sévère jeté
Des lettres où l’amour mentait, des roses sèches
Hier âme odorante et gloire de l’été,
Et d’anciens vers écrits jadis avec fierté.
 
Le feu, d’un arc subit, a décoché ses flèches.
Le mur s’est d’une pourpre ardente ensanglanté,
La chambre a ri du seuil profond aux angles sombres,
Des torches ont paru courir dans les miroirs,
La flamme d’un vol rouge a pourchassé les ombres
Et lustré d’or le bois luisant des meubles noirs.
 
Mon être s’imprégnait d’une chaleur légère,
Je bénissais la flamme onduleuse. Et voici,
Tout à coup, que le beau brasier s’est obscurci.
 
Sa cendre en bleuissant palpite sur la pierre,
La nuit tombe, et, morose alors, le cœur transi
Par ce brusque et funèbre adieu de la lumière,
Sous la vitre qui verse un suprême jour gris,
Je reste seul, le front pesant et les mains jointes,
Méditant le destin trop bref de ces esprits
Qui, frères des foyers avarement nourris,
Font de grandes clartés soudaines, vite éteintes.

Le semeur de cendres (1901)

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