Amable Tastu

L’ange gardien

Ô qu’il est beau cet esprit immortel,
Gardien sacré de notre destinée !
Des fleurs d’Eden sa tête est couronnée,
Il resplendit de l’éclat éternel.
Dès le berceau sa voix mystérieuse,
Des vœux confus d’une âme ambitieuse,
Sait réprimer l’impétueuse ardeur,
Et d’âge en âge il nous guide au bonheur.
 
L’ENFANT.
 
Dans cette vie obscure à mes regards voilée,
Quel destin m’est promis ? à quoi suis-je appelée ?
Avide d’un espoir qu’à peine j’entrevois,
Mon cœur voudrait franchir plus de jours à la fois !
Si la nuit règne aux cieux, une ardente insomnie
A ce cœur inquiet révèle son génie ;
Mes compagnes en vain m’appellent, et ma main
De la main qui l’attend s’éloigne avec dédain.
 
L’ANGE.
 
Crains, jeune enfant, la tristesse sauvage
Dont ton orgueil subit la vaine loi.
Loin de les fuir, cours aux jeux de ton âge ;
Jouis des biens que le ciel fit pour toi :
Aux doux ébats de l’innocente joie
N’oppose plus un front triste et rêveur ;
Sous l’œil de Dieu suis ta riante voie,
Enfant, crois-moi, je conduis au bonheur.
 
LA JEUNE FILLE.
 
Quel immense horizon devant moi se révèle !
A mes regards ravis que la nature est belle !
Tout ce que sent mon âme, ou qu’embrassent mes yeux
S’exhale de ma bouche en sons mélodieux !
Où courent ces rivaux armés du luth sonore ?
Dans cette arène il est quelques places encore ;
Ne puis-je, à leurs côtés me frayant un chemin,
M’élancer seule, libre, et ma lyre à la main ?
 
L’ANGE.
 
Seule couronne à ton front destinée,
Déjà blanchit la fleur de l’oranger ;
D’un saint devoir doucement enchaînée,
Que ferais-tu d’un espoir mensonger ?
Loin des sentiers dont ma main te repousse,
Ne pleure pas un dangereux honneur,
Suis une route et plus humble et plus douce.
Vierge, crois-moi, je conduis au bonheur.
 
LA FEMME.
 
Ô laissez-moi charmer les heures solitaires ;
Sur ce luth ignoré laissez errer mes doigts,
Laissez naître et mourir ses notes passagères
Comme les sons plaintifs d’un écho dans les bois.
Je ne demande rien aux brillâmes demeures,
Des plaisirs fastueux inconstant univers ;
Loin du monde et du bruit laissez couler mes heures
Avec ces doux accords à mon repos si chers.
 
L’ANGE.
 
As-tu réglé dans ton modeste empire
Tous les travaux, les repas, les loisirs ?
Tu peux alors accorder à ta lyre
Quelques instants ravis à tes plaisirs.
Le rossignol élève sa voix pure,
Mais dans le nid du nocturne chanteur
Est le repos, l’abri, la nourriture...
Femme, crois-moi, je conduis au bonheur.
 
LA MÈRE.
 
Revenez, revenez, songes de ma jeunesse ;
Éclatez, nobles chants ; lyre, réveillez-vous !
Je puis forcer la gloire à tenir sa promesse ;
Recueillis pour mon fils ses lauriers seront doux.
Oui, je veux à ses pas aplanir la carrière,
A son nom, jeune encore, offrir l’appui du mien,
Tour le conduire au but y toucher la première,
Et tenter l’avenir pour assurer le sien.
 
L’ANGE.
 
Vois ce berceau, ton enfant y repose ;
Tes chants hardis vont troubler son sommeil,
T’éloignes-tu ? ton absence l’expose
A te chercher en vain à son réveil.
Si tu frémis pour son naissant voyagé,
De sa jeune âme exerce la vigueur :
Voilà ton but, ton espoir, ton ouvrage.
Mère, crois-moi, je conduis au bonheur.
 
LA VIEILLE FEMME.
 
L’hiver sur mes cheveux étend sa main glacée ;
Il est donc vrai ! mes vœux n’ont pu vous arrêter,
Jours rapides ! et vous, pourquoi donc me quitter,
Rêves harmonieux qu’enfantait ma pensée ?
Hélas ! sans la toucher, j’ai laissé se flétrir
La palme qui m’offrait un verdoyant feuillage,
Et ce feu, qu’attendait le phare du rivage,
Dans un foyer obscur je l’ai laissé mourir.
 
L’ANGE.
 
Ce feu sacré renfermé dans ton âme
S’y consumait loin des profanes yeux ;
Comme l’encens offert dans les saints lieux,
Quelques parfums ont seuls trahi sa flamme.
D’un art heureux tu connus la douceur,
Sans t’égarer sur les pas de la gloire ;
Jouis en paix d’une telle mémoire ;
Femme, crois-moi, je conduis au bonheur.
 
LA MOURANTE.
 
Je sens pâlir mon front, et ma voix presqu’éteinte
Salue en expirant l’approche du trépas.
D’une innocente vie on peut sortir sans crainte,
Et mon céleste ami ne m’abandonne pas.
Mais quoi ! ne rien laisser après moi de moi-même !
Briller, trembler, mourir comme un triste flambeau !
Ne pas léguer du moins mes chants à ceux que j’aime,
Un souvenir au monde, un nom à mon tombeau !
 
L’ANGE.
 
Il luit pour toi le jour de la promesse,
Au port sacré je te dépose enfin,
Et près des cieux ta coupable faiblesse
Fleure un vain nom dans un monde plus vain.
La tombe attend tes dépouilles mortelles,
L’oubli tes chants ; mais l’âme est au Seigneur.
L’heure est venue, entends frémir mes ailes ;
Viens, suis mon vol, je conduis au bonheur !

Poésies (1826)

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