Amable Tastu

Scènes du Passé

Verts gazons où fleurit la blanche marguerite,
Ombrage qu’au printemps la violette habite,
           Vallons, bocage, humble sentier,
Dont la mousse reçoit cette pluie argentine
Qui tombe au gré des vents du front de l’aubépine
           Ou des rameaux de l’églantier.
 
Prés dont mes jeunes pas foulaient l’herbe penchée,
Bosquets d’arbustes verts, où la source cachée
           Jaillit loin des yeux du passant,
Où la brise d’avril, d’une aile printanière,
M’apportait en fuyant à travers la clairière,
           L’odeur du feuillage naissant ;
 
Bords féconds et chéris, frais et riant théâtre,
Où, la lyre à la main, ma jeunesse folâtre
           Ouvrit le drame de mes jours,
Parfois quand du sommeil mes nuits sont délaissées
Votre image s’éveille, et des scènes passées
           Je crois recommencer le cours.
 
Je revois tour à tour la penchante colline
Dont l’invisible écho de ma voix enfantine
           A répété les premiers airs ;
Cet enclos ombragé cher aux plaisirs rustiques ;
Et de ceux que j’aimais les ombres fantastiques
           Peuplent encore ses bancs déserts.
 
Voici la blanche église et l’autel de Marie,
Et tous ces lieux alors chers à ma rêverie,
           Où j’ai chanté, prié, souffert ;
Car mes beaux jours, hélas ! n’étaient pas sans nuage,
Et plus d’un sombre aspect, avec leur douce image,
           A mon souvenir s’est offert.
 
Pourtant le cœur fidèle à ces jours d’espérance,
De leurs moments de joie et même de souffrance
           Ne veut rien livrer à l’oubli :
Des maux qui ne sont plus l’amertume s’efface,
Et quand la main du temps en adoucit la trace,
           Le malheur est presque embelli.
 
Ainsi, durant le cours d’un rapide voyage,
Chaque site en fuyant, ou fertile, ou sauvage,
           D’attraits nouveaux semble paré ;
Et les monts qu’au matin on gravit avec peine,
Le soir charment nos yeux, quand la vapeur lointaine
           Y jette son voile azuré.

Poésies (1826)

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