Loin de moi, séduisante fée,
Loin de moi ton prisme imposteur !
Trop souvent ton souris menteur
Apaisa ma plainte étouffée.
Pourquoi te plaire à m’égarer,
Pourquoi ces perfides caresses ?
Je ne crois plus à tes promesses,
Non, je ne veux plus espérer.
Les appuis que mon cœur tranquille
Crut opposer aux coups du sort,
Plus faibles qu’un roseau fragile,
Se sont brisés au moindre effort.
Hélas ! la fortune est légère,
L’amitié vaine et passagère
De l’intérêt subit la loi,
Et, dans sa pitié mensongère,
Se rit de la crédule foi.
Dans les rêves de la jeunesse
L’ombre du bonheur nous séduit ;
Sur tes pas, trompeuse déesse,
Nous croyons l’atteindre sans cesse,
Et le repos même nous fuit.
Mais à peine un malheur menace,
On t’invoque, ta main efface
Le soudain effroi qu’il produit ;
Nous n’osons regarder l’abîme ;
Ainsi qu’une lâche victime
Pâlit à l’aspect du bourreau,
Et dans la liqueur enivrante
Offerte à sa lèvre mourante
Boit l’oubli du fatal couteau.
Trop longtemps tu m’as abusée ;
De l’espoir d’une route aisée
Tu flattas mon naissant orgueil,
Et ma barque aux flots exposée
Toujours a rencontré l’écueil.
Fuis donc, perfide enchanteresse,
Fuis, et ne crois plus m’égarer :
Je puis braver ta folle ivresse,
Non, je ne veux plus espérer !
Doux chants, mélodieux délire,
Charme secret de mes beaux ans,
C’est méconnaître votre empire,
Hélas ! qu’attirer sur la lyre
Le regard distrait des passants.
De votre douceur solitaire
Pourquoi révéler le mystère ?
Ou, sur la foi de l’avenir,
Dédaigner les biens qu’elle donne,
Pour cette inutile couronne
Que je ne puis même obtenir ?
Ainsi chaque riante image
S’évanouit comme un nuage
Au premier caprice des vents ;
Sur un océan sans rivage,
Mes yeux en vain cherchent la plage
Où s’arrêtent les flots mouvants ;
Le temps de ses ailes rapides
Moissonne, stériles et vides,
Des jours qu’il aurait dû parer ;
Chacune des fleurs que je cueille
Sous mes doigts se fane et s’effeuille ;
Non, je ne veux plus espérer !