Amable Tastu

La mansarde

Le temps ce soir est gros d’orage ;
 
Déjà, sous cet épais nuage,
Il gronde là-bas faible et sourd :
L’éclair est pâle, le ciel lourd,
Et l’air muet, qu’en vain j’implore,
Au front du prochain monument
Laisse retomber pesamment
Les plis du drapeau tricolore.
Du soir, le vent accoutumé,
Manque à ma poitrine oppressée,
Et cet horizon embrumé
Étouffe jusqu’à ma pensée.
Mais la pluie, à flots épaissis,
Des flancs du nuage qui tonne,
Bondit, sonore et monotone,
Sur le penchant des toits noircis.
Encore un de ces jours sans nombre,
Qui, toujours trop lents à finir,
Flétrissent de leur teinte sombre
Et le présent et l’avenir !
Jours où la pensée inquiète
Tremble d’interroger le sort,
Où, selon les mots du prophète,
L’âme est triste jusqu’à la mort !
Aujourd’hui qui donc se hasarde
A porter les yeux devant soi ?
Peut-être, jeune enfant, c’est toi,
Toi que je vois dans la mansarde
Qui s’ouvre là-bas devant moi ?
Elle est là, riante et proprette ;
Pourtant, du matin jusqu’au soir,
Elle est seule dans sa chambrette ;
Seule ? Non, elle a son miroir ;
Son œil malicieux et noir
S’y porte et reporte sans cesse,
Rit, minaude, boude ou caresse ;
Et pourtant que peut-elle y voir ?
Ses treize ans, au corps mince et frêle,
Aux longs bras chétifs, au col grêle ;
Age sans charme et sans secrets,
Entr’acte vide et sans attraits,
Entre l’enfance et la jeunesse !
Court sommeil du temps qui nous presse,
Moment d’attente ou de regrets,
Qui, semblable à l’heure incertaine,
Où flottent le jour et la nuit,
Fait rêver la grâce lointaine,
De l’âge qui naît ou qui fuit !
Mais la voilà qui se prépare :
Elle ajuste, selon ses vœux,
Les plis du fichu qui la pare,
Et sous ses doigts, lustre et sépare
Les noirs bandeaux de ses cheveux.
Bientôt on dirait qu’elle écoute
Avec un timide embarras,
Ce que dit le miroir sans doute,
Et sa bouche y répond tout bas.
Mais tout-à-coup la scène change ;
Au gré d’un mobile cerveau,
Sous ses mains actives s’arrange
Le thème d’un drame nouveau.
Un lambeau de gaze fanée,
Quelques festons de papier blanc,
Singent, sur sa tête inclinée,
Le voile et l’oranger tremblant ;
Puis, agenouillée elle prie
Avec un maintien solennel :
Plus de doute, elle se marie,
Et le miroir tient lieu d’autel.
Un moment... le jeu dure encore :
De danse une noce a besoin ;
Au bal le roman doit se clore :
Pourvu qu’il n’aille pas plus loin !
 
Si jeune, et déjà si coquette,
Rêver, lorsque tout le défend,
Amour, mariage, toilette,
Dans la mansarde ?... Pauvre enfant...

Poésies nouvelles (1835)

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