Sur nos faubourgs l’aube venait de luire ;
Son gai rayon sur ta couche brillait,
Et dans ton cœur une voix semblait dire :
« C’est aujourd’hui le quatorze juillet ;
Ce beau soleil vit tomber la Bastille,
De ce grand jour que le retour est doux ! »
Ce beau soleil luit derrière une grille,
Et ce grand jour te voit sous les verrous !
L’ouvrier passe ; et toi, prêtant l’oreille
A son refrain qui t’arrive d’en bas,
Tu reconnais qu’il a dans sa bouteille
Cherché l’oubli du bonheur qu’il n’a pas.
La poésie est de même une ivresse ;
A ses accords nos maux s’envolent tous ;
Mais la voix meurt sous un poids qui l’oppresse,
Quand ce grand jour te voit sous les verrous.
Tout en chantant pour bercer nos souffrances,
Compte, pensif et le front sur ta main,
Combien, hélas ! de longues espérances
N’ont pas vécu jusques au lendemain !
Sous la terreur, la gloire ou la conquête,
Sans les subir tu sentis tous les jougs ;
Des libertés, seul. tu chômes la fête,
Et ce grand jour te voit sous les verrous !
Ainsi nos jours s’en vont de rêve en rêve ;
Les plus brillants s’éteignent dans les pleurs ;
Ce que l’un donne, un autre nous l’enlève :
Rien n’est à nous, pas même nos douleurs !
Que reste-t-il des promesses données,
De tant d’efforts, du sang versé pour nous ?...
Sur toi, de plus, pèsent quarante années,
Et ce grand jour te voit sous les verrous !
Foi, Liberté, mots qu’en vain l’on répète,
Nobles erreurs, fantômes décevants,
Peuplez du moins les songes du poète,
Seul univers où vous soyez vivants !
Si du talent le prisme fait éclore
Un arc-en-ciel sous des cieux en courroux,
Que lui du moins croie, espère, aime encore.
Quand ce grand jour le voit sous les verrous !