Joseph Autran

Notre-Dame de la Garde

Vierge au front étoilé ! Reine sainte ! Madone
Douce à tout affligé dans ce vallon de pleurs !
Que partout, qu’à jamais le cantique résonne
Qui te nomme, ici-bas, Mère des Sept Douleurs !
 
Dans l’alcôve où s’éteint la lampe d’agonie,
Qu’un malade, troublé par l’ombre de ses jours,
Détache de son mur ton image bénie,
Et meure en t’implorant : Mère de Bon Secours !
 
Au matin des combats, quand sous le cri d’alarmes
Parfois le vétéran se dit : Tremblerais-tu ?
Que tout jeune soldat, aligné sous les armes,
De toi, Tour de David, attende sa vertu !
 
Dans l’ombre des. autels, à genoux sur la pierre,
Chaste fleur embaumant le caveau des défunts,
Que toute jeune fille élève sa prière
Vers toi, Rose Mystique et Vase de parfums !
 
Enfant des régions où sans cesse on te prie,
Provençal ou Breton, qu’un poète à seize ans
Te dise, en visitant ta chapelle fleurie :
Reine des Séraphins, prête-moi leurs accents !
 
Pour moi, quand le matin je vois partir du môle
Les nochers suspendus sur leur sillage amer :
Escorte leur navire, allât-il jusqu’au pôle,
Te dis-je ; luis pour eux, Étoile de la mer !
 
De tout temps, je l’aimai, cette antique chapelle
Qui, du haut d’un donjon dominateur des flots,
Resplendit à jamais comme un phare fidèle,
Et montre leur patronne aux pauvres matelots.
 
A l’heure du matin qui fane les étoiles,
Quand le golfe dans l’ombre est encore endormi,
Quand les premiers vaisseaux dont blanchissent les voiles
Sont par la bruine encore dérobés à demi,
 
Je gravis lentement la dévote colline
Dont la Reine des mers habite les hauteurs,
Et, franchissant le seuil de l’église marine,
Je me mêle en silence aux premiers visiteurs.
 
Humbles groupes épars, fidèles de tout âge,
Femmes que l’aube trouve aux portes du saint lieu,
Mousses qui vont partir pour leur premier voyage,
Vieux marins, désormais réfugiés en Dieu.
 
Sous l’arceau tapissé de guirlandes votives,
Sous ces mille tableaux d’un informe dessin,
Que de psaumes fervents, que d’antiennes plaintives,
Balbutie à genoux le matinal essaim !
 
A mon tour je t’implore, ô céleste clémence !
Pour tous les voyageurs dispersés sur les eaux,
Pour tous les malheureux qui, sur la mer immense,
S’en vont accomplissant leurs éternels travaux !
 
Ils n’ont pour tout abri qu’une planche de chêne,
Pour gage de salut que l’étoile qui luit,
Et sans cesse debout, tant la mort est prochaine,
Ils ne croisent les bras ni le jour ni la nuit.
 
Est-ce pour que leur nom partout s’étende et brille,
Que, d’une âme si ferme, ils courent aux dangers ?
Non ! Non ! Ils vont chercher pour une humble famille
Un peu de la moisson faite aux bords étrangers.
 
Tels ces hardis oiseaux qu’instruisit la nature,
Délaissant leurs petits sous les rameaux des bois,
Vont, à travers les cieux, recueillir la pâture
Qu’attend au bord du nid la couvée aux abois.
 
Qu’ils reviennent comme eux, par les vents favorables,
Ceux qui glanent la vie au rivage lointain ;
Qu’ils reviennent bientôt, riants et secourables,
Dans les mains de leurs fils partager le butin.
 
Les voilà, ces enfants ! Orphelins de leurs pères,
Chacun venant du sien demander le retour :
Aux marches de ton temple amenés par les mères,
Les vois-tu devant toi s’incliner chaque jour ?
 
Oui, ton œil leur sourit, ô patronne suprême !
Espoir et patience enfin leur sont rendus.
Ils sortent de l’église, et, parfois, du seuil même,
Voient rentrer dans le port les vaisseaux attendus.
 
Mais que de fois, aussi, riant de leur attente,
Que de fois la tempête emporte loin des bords
Ces navires penchés sous l’averse battante,
Et pareils, dans leur fuite, à des coursiers sans mors !
 
Ah ! Quand l’ouragan noir sur eux tombe en furie,
Aux cris désespérés quand les cieux restent sourds,
A toi seule appartient d’attendrir, ô Marie,
Dieu qui fait le péril et qui fait le secours !
 
Pour sauver tant de cœurs d’une infortune amère,
Parle, parle toi-même à ce Dieu tout-puissant
Qui jadis, enfant pauvre et docile à sa mère,
Inclinait devant toi son front obéissant ;
 
Qui, plus tard, dédaignant la tempête farouche,
Dans l’esquif des pêcheurs dormait au bruit des flots,
Et, tranquille au réveil, par un mot.de sa bouche
Faisait rentrer soudain la mer dans son repos !

Les Poèmes de la mer (1859)

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