Joseph Autran

Maturité

Jule ! Heureux compagnon, dont le style aux beaux jours
Ne respirait que joie et que folles amours,
Sais-tu que maintenant ta prose, ô mon artiste,
Exhale un son nouveau qui m’étonne et m’attriste !
—Tu vois devant tes pas s’accourcir l’horizon ;
Tu ne sais quelle brume alourdit ta raison ;...
Tu ne recherches plus le bruit, l’éclat, les fêtes ;...
Soldat, tu fuis la guerre, et marin, les tempêtes ;...
Le repos, désormais, soit faiblesse ou vertu,
Te séduit ; en un mot, tu vieillis, m’écris-tu.
 
—C’est un rude mal, Jule, et que j’ai pu connaître,
Moi, ton aîné d’un jour au mois qui nous vit naître.
—Que faire ? Reprends-tu, quel remède puissant
Opposer aux assauts de cet ennui croissant ?
N’est-ce pas à celui qui, d’un jour, est plus sage,
De prêter sa science à l’autre, en ce passage ?
—Oui, frère, et sans retard à ton aide j’accours.
Voici donc, en deux mots serrant tout un discours,
Voici ce que répond cet aîné, cet Ariste :
Le remède est aux champs, si le remède existe.
L’ennui que tu ressens, tu sais s’il fut le mien !
A quiconque en est pris la ville ne vaut rien :
Elle a trop de fracas, de rumeurs, de folie,
Pour l’âme qui, plus mûre, à la fin se replie
Il est triste d’y voir arriver comme un flux
De passants, de voisins que l’on ne connaît plus.
Les premiers sont partis, laissant leurs places vides
A ces nouveaux venus qui se pressent avides.
Il faut, bon gré, mal gré, devant eux se ranger.
D’ailleurs, à tout ce monde on se sent étranger :
Quelle est-elle, en sa fleur opulente et vermeille.
Cette reine des bals dont chacun s’émerveille ?
Est-ce un oiseau du Nord, de passage entre nous ?
Hélas ! Tu l’asseyais, enfant, sur tes genoux :
C’est la petite Annette, à ce point grande et belle !
Et ton fils aujourd’hui fait des sonnets pour elle.
Quel est ce cavalier si droit sur les arçons ?
Tu l’as connu pleurant pour dire ses leçons.
Plus haut que toi du front, quel est ce beau jeune homme ?
C’est ton propre neveu qu’il faut que l’on te nomme...
 
On sourit, et l’on passe, et, le long du chemin,
Rencontrant un ami qui vous serre la main,
Un pâle compagnon de vos gaîtés anciennes,
Aux rides de sa joue on soupçonne les siennes !...
 
Puis, il faut y songer, de ses soins indulgents
La ville ne soutient que les seuls jeunes gens.
Pour eux seuls épuisant ses tendresses complices,
Elle encourage tout en eux, jusqu’à, leurs vices.
 
Le printemps, à ses yeux, ne fait rien de travers ;
Mais malheur à l’automne et surtout aux hivers !
On aime, on souffre encore mieux que cette jeunesse ;
Si peu suffit au cœur, hélas ! Pour qu’il renaisse !
N’importe, on est tenu de garder son cœur froid ;
Et de la douleur même on a perdu le droit !
 
Ah ! La campagne, ami, dans sa bonté royale,
Envers qui la réclame est plus impartiale.
Elle n’exclut personne, et, d’un regard clément,
Douce mère, elle rit à tous également :
Qu’un vieillard au jardin, pensif, marche ou s’arrête,
La fleur le voit venir sans détourner la tête ;
Le rayon de soleil, qu’il cherche pas à pas,
En se posant sur lui, ne se refroidit pas ;
Et l’oiseau, quand paraît cette tête chenue,
S’il chantait sa chanson d’amour, la continue.
Que dis-je ? Si les champs de plus d’égards pieux
Entourent un passant, ce sera le plus vieux.
Les chênes toujours verts, témoins de bon présage,
Semblent le saluer de leurs bras chargés d’âge ;
Un vieux mur, un vieux toit, couvert de brins fleuris,
Lui parle de printemps, même dans ses débris.
Il rêve au Dieu clément, et partout le rencontre,
La ville cache Dieu, la campagne le montre :
Il est dans cette fleur, il est dans ce granit,
Il est dans le rayon qui descend sur ce nid,
Il est dans le froment que sa main nous découpe,
Et jusque dans le vin dont il emplit ma coupe !
 
Le long de mes sentiers, je passe en te priant,
Ô Dieu, qui m’apparais toujours plus souriant !
Toute cette nature est ton visible empire ;
C’est bien toi que je vois, que j’entends, que j’aspire ;
Et j’envisage enfin, moins attristé du sort,
Le sein de cette terre où l’homme un jour s’endort ;
Sol fécond, sol béni, dont les métamorphoses
Redonnent forme et vie aux âmes comme aux choses,
Et qui, plein de parfums, de sève, de couleurs,
Des plus sombres débris fait ses plus belles fleurs !

Le Poème des beaux jours (1862)

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