À propos de Hegel.
« Jacques d’Hondt, qui a écrit deux livres remarquables sur la philosophie de Hegel, vient d’en publier deux autres qui constituent une sorte d’enquête sur sa vie, ses amitiés, ses lectures, sur ses “ fréquentations ”, au sens complet du terme : Hegel secret et Hegel en son temps. // ne cherche aucunement â expliquer, mais â éclairer ses œuvres par son existence. Hegel a souffert d’une grande injustice. On a vu en lui le type du professeur, du fonctionnaire discipliné, l’admirateur sans réserve de l’État prussien. Avec autant de perspicacité que d’érudition d’Hondt fait connaître l’homme anxieux, le citoyen rétif, l’ami des persécutés. Certes, quand il s’agit d’un philosophe, on ne saurait se fier à l’adage : dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es ! Mais en changeant l’éclairage sur l’homme, on éclaire aussi différemment l’œuvre. La “ vie cachée ” de Hegel fut celle d’un libéral fiché par la police. Il a dialogué avec les girondins français, les illuminés allemands et les francs-maçons internationalistes. Sans vouloir en tirer plus qu’il ne convient, l’auteur montre que la Phénoménologie retrace un itinéraire de la conscience qui rappelle les séances d’initiation maçonnique, un parcours de néophyte dans la loge théâtralement aménagée– comparaison qui est de Hegel lui-même. “ Raison et liberté restent notre mot d’ordre, et notre point de ralliement l’Église universelle ”, écrivait-il à Schelling. Toute la pensée hégélienne, jusque dans sa maturité, enfonce des racines nombreuses et vigoureuses dans la Révolution française.
Tel n’est aucunement l’objet de l’ouvrage dense et clair de Châtelet. En moins de 200 pages, il réussit la gageure de nous faire participer à la construction comprékensive du système hégélien.
La conscience se faisant esprit, c’est la Phénoménologie.
L’esprit enfin s’exprime essentiellement dans la création artistique, la vie religieuse et la réflexion philosophique. L’art est son premier moment. Cest l’esprit dans son expression sensible, donnant des idées les plus élevées une représentation concrète qui nous les rend accessibles. La religion est la vérité de l’art. Le devenir des religions est le devenir même de l’esprit en son immédiateté. La mutation décisive s’opère lorsqu’on passe des religions déterminées, “ ethniques ”, au christianisme. Avec l’incarnation, l’opposition abstraite de la finitude et de l’infini s’abolit. La philosophie est la vérité de la religion comme la religion est la vérité de l’art. Toutes les productions humaines sont ainsi situées, rendues intelligibles, transparentes. La philosophie, d’ailleurs, n’a pu se réaliser comme savoir absolu, c’est-à-dire prendre pleine conscience d’elle-même comme dit de l’esprit qu’au moment où l’esprit se réalise objectivement, si l’on peut dire. Cette réalisation c’est l’État. Certes l’État moderne, napoléonien ou prussien, n’est pas encore l’État mondial qui clôt l’histoire. L’État universel est à venir. Mais on connaît son essence, ce qui permet â la philosophie de s’achever. Avec la fondation de l’État, dit Châtelet, le savoir absolu sait de quoi au fond il est savoir : de la formation de l’humanité par ellemême, du cheminement dramatique de l’esprit se construisant dans le fracas des guerres et les tragédies quotidiennes du travail. L’État moderne achève l’histoire universelle comme la science conclut la pensée. »
Ils parlent entre eux comme ils écrivent
entre les lignes
les uns ont un abîme et les autres
un trou, un mur, un fossé, une impasse.