I
Rodin était un homme de quarante ans, brun, le sourcil épais, l’œil vif, l’air de la force et de la santé, mais en même temps du libertinage.
Quoique le vrai temple de l’Amour soit à sa portée, Rodin, fidèle à son culte, n’y jette pas même de regards, il en craint jusqu’aux apparences ; si l’attitude les expose, il les déguise ; le plus léger écart troublerait son hommage, il ne veut pas que rien le distraie... Enfin sa fureur n’a plus de bornes, il l’exprime d’abord par des invectives, il accable de menaces et de mauvais propos cette pauvre petite malheureuse tremblante sous les coups dont elle se voit prête à être déchirée ; Rodin n’est plus à lui, il s’empare d’une poignée de verges prises au milieu d’une cuve où elles acquièrent dans le vinaigre qui les mouille, plus de verdeur et de piquant...
Sade
Justine ou les Malheurs de la Vertu
Préface de Georges Bataille
Frontispice de Hans Bellmer
II
Tout à coup Rodin éclata de rire... mais d’un rire de joie, de mépris et de triomphe, impossible à rendre.
Le père Caboccini le regardait avec un étonnement irrité, lorsque Rodin se grandissant encore, et redevenant plus impérieux, plus hautain, plus souverainement dédaigneux que jamais, écarta du revers de sa main crasseuse le papier que lui tendait le père Caboccini, et lui dit :
—De quelle date est ce rescrit ?
—Du 11 mai... dit le père Caboccini stupéfait.
—Voici un bref que j’ai reçu cette nuit de Rome ; il est daté du 18... et m’apprend que je suis nommé général de l’ordre (des Jésuites)... Lisez...
Le père Caboccini prit la cêdule, lut, et resta d’abord atterré. Puis il rendit humblement le rescrit à Rodin en ployant respectueusement le genou devant lui.
Eugène Sue Le Juif errant
III
...O dadas de bagne ! Bulles de savon ! Pantins en baudruche ! Ficelles usées ! Qu’ils s’approchent, les Konrad, les Manfred, les Lara, les marins qui ressemblent au Corsaire, les Méphistophêlès, les Werther, les Don Juan, les Faust, les lago, les Rodin, les Caligula, les Caïn, les Iridion, les mégères à l’instar de Colomba, les Ahrimane, les manitous manichéens, barbouillés de cervelle, qui cuvent le sang de leurs victimes dans les pagodes sacrées de l’Hindoustan, le serpent le crapaud et le crocodile, divinités, considérées comme anormales, de l’antique Egypte...
Isidore Ducasse
Comte de Lautréamont
Poésies
IV
Rodin, lui, était myope : ce gros œil proéminent des luxurieux. Il faisait « le morceau ». Il avait le nez sur le modèle et le « morceau ». Le nez ? Disons plutôt une trompe de sanglier, derrière lequel s’abritait une prunelle glaciale et bleue–
Paul Claudel Ma sœur Camille
V
Hélas ! je suis tout de même obligé de reconnaître que Rodin était un artiste de génie.
Paul Claudel Œuvres en prose