Charles Guérin

Le temps n’a point pâli ta souveraine image

Le temps n’a point pâli ta souveraine image :
Telle qu’un jour d’été, jadis, tu m’apparus,
Debout, battant du linge au bord d’un sarcophage,
             Je te revois, fille aux bras nus.
 
C’est dans une prairie où la chaleur frissonne,
Où, comme un brasier vert, l’herbe s’incline au vent.
Un platane robuste à la belle couronne
             T’abrite du soleil brûlant.
 
Je t’observe à travers les branches d’une haie.
Sur l’auge de granit tu presses tes genoux ;
Du bruit de ton battoir l’écho prochain s’égaie,
             Et l’eau rejaillit sous tes coups.
 
La palette de bois s’abat, et tu te penches ;
Ton bras monte, une part de ta gorge le suit,
Et dans ce mouvement ta chemise sans manches
             Découvre l’aisselle qui luit.
 
Un rayon de soleil mystérieux se traîne
Sous le feuillage où flotte un tendre clair-obscur.
Les toiles que tes mains trempent dans la fontaine
             Sortent ruisselantes d’azur.
 
Et moi, le front soumis à l’immense lumière,
J’assiste avec un plein transport de volupté
Aux gestes que tu fais dans l’ombre, lavandière
             Ignorante de ta beauté.

L’homme intérieur (1901-1905)

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