Charles Guérin

Le grain de blé qu’on va moudre.

Le grain de blé qu’on va moudre contient l’hostie.
Le vin se change au sang divin de la victime.
Le fruit tire son suc de la branche brisée.
La rose, vierge en pleurs, fléchit sous la rosée,
Et le miel alourdit l’abeille suspendue
Qu’un souffle d’air balance aux lèvres de la rose.
La nuit, épouse obscure, est grosse de l’aurore,
Et la mer sourdement couve un nouveau déluge.
Chaque être, de la plante au poète qui prie,
Supporte son anneau dans la chaîne infinie :
L’enfant déjà mûrit au cœur des fiancées,
Et le vieillard, tout près de Dieu, traîne sa vie.
 
Poète, sois un arbre aux fruits lourds de pensée.

Le cœur solitaire (1896)

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