Charles Guérin

L’hiver a, cette nuit, une odeur de printemps

L’hiver a, cette nuit, une odeur de printemps.
J’ai pour rêver ouvert ma fenêtre. J’entends
Le vent qui semble fuir sur un voile de soie.
Les pins murmurent, l’air embaume, un chien aboie.
Le silence est une urne où tombe chaque bruit.
Et mon cœur sans amour se gonfle, ô tendre nuit !
Je les bénis, ceux-là qui, dans cette même heure,
Ont poussé les volets chantants de leur demeure,
Et respirent l’espace et regardent le ciel,
Et goûtent à s’aimer un moment éternel.
Leur âme en se mêlant aux étoiles s’enivre :
« Ah disent-ils, qu’il est, cette nuit, bon de vivre !... »
Et le vent caressant traverse leurs cheveux.
 
Sainte mélancolie heureuse où l’on est deux,
Où la vierge sur qui l’amant en pleurs s’appuie
Succombe comme un lys accablé par la pluie !
Je me souviens de vous ce soir amèrement,
De vous, et d’un grand rêve et du pieux serment
Que des lèvres scellaient sur ma bouche tremblante.
La douce nuit planait sur nous d’une aile lente,
Vous soupiriez, ma triste enfant, et j’étais las.
Nous nous tûmes, l’amour parla longtemps. Hélas !

Le semeur de cendres (1901)

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