Alphonse Beauregard

Le lac.

Aux pieds de trois coteaux habillés de sapins
     Gît un lac profond, clair et sage,
Où maintes fois je suis descendu, le matin,
     Aspirer la paix qu’il dégage.
 
Rond et luxuriant, à son centre, un îlot
     Ressemble au chaton d’une bague ;
Les arbres alentour, penchés au bord de l’eau,
     Y dessinent des formes vagues.
 
Libre de quais encore, à nul chemin ouvert,
     Inutile et pur diadème,
Il est, dans l’âpreté de ce pays désert.
     Une œuvre d’art pour l’art lui-même.
 
Je suis ton amant pauvre, ô lac, et ne peux pas
     Arrêter les sinistres haches ;
Ecoute-les sonner, autour de toi, le glas
     Du bois qui te pare et te cache.
 
Tu deviendras, parmi les maisons, les champs nus,
     Une eau sans attraits, une mare,
Une chose qui sert à naviguer dessus,
     Dont la multitude s’empare.
 
Qu’importe ! Ils n’auront pas, ces maîtres imposés,
     Connu ton sourire de vierge ;
Je le garde en mon cœur comme un secret baiser
     Que j’aurais cueilli sur ta berge.

Les alternances (1921)

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