Alphonse Beauregard

Jours de souffrance.

Ô les jours où le cœur broyé dans un étau
         Sent monter, comme une marée,
         La trahison de la femme adorée ;
Où sans cesse l’on tourne et tourne en son cerveau
         La même torturante idée ;
Où, des heures, l’on tend une oreille obsédée
         Par le pressentiment trompeur
         Qu’arrive la lettre attendue ;
Où l’on répète, pour la prochaine entrevue,
         Un rôle plein de tragique douleur ;
Où l’on tâche à ne pas regarder la nature
         Ni le ciel azuré,
De peur que, sous le choc de la beauté, ne dure
La colère où se plaît l’orgueil exaspéré.
 
Ô jours, soyez maudits pour cette âpre souffrance.
Ô les jours où l’on voit son ardeur, ses talents,
Ses penchants et le plus intime de son âme
Par soi jetés aux pieds de cette femme,
Tels des sacrifiés aux dieux indifférents ;
Où les désirs inapaisés, blême cortège,
Viennent crier qu’on les a déchaînés
         En se laissant tomber au piège
         D’un artifice suranné ;
Où la pensée au fond d’un abîme se plonge
         Pour oublier les rêves décevants ;
Où, dans ce noir, on goûte et raffine et prolonge
         L’amère volupté des blasphèmes savants.
 
Ô jours, soyez maudits pour cette âpre souffrance.
 
Ô les jours où la vie, en son rythme animal,
         Ayant adouci la blessure ancienne,
         On cite en pensée à son tribunal,
Avec la clairvoyance de la haine,
         La femme admirée autrefois ;
         Où dans elle on aperçoit
         La vanité qui prédomine,
         L’égoïsme en l’amour drapé,
Et jusqu’à ces laideurs profondes qu’illumine
         Un mot par hasard échappé ;
         Où, reniant son âme aveuglée,
Plein de mépris pour ce qu’on fut en ce temps-là.
         On ricane devant la face maculée :
         Ce n’était que cela !
 
Ô jours, soyez maudits pour cette âpre souffrance.

Les alternances (1921)

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