–Subsister décrépits, déchus, mais n’être pas
Des ombres que le vent chasse, informes, là-bas !
N’avoir de chair et d’os que pour souffrir sans cesse
Plutôt que, purs esprits dégagés de faiblesse,
Vaguer insouciants dans le vide éternel !
Vivre toujours au lieu de t’espérer, ô ciel !
Même sans toi, que nous seraient des millénaires
À jouir de l’afflux du sang dans nos artères !
Comme nous aimerions à ne jamais risquer
Que notre droit d’agir soit soudain révoqué,
Ni que devant nos pas le sol s’ouvre et bascule !
Ne pas mourir !...
–Assez de songes ridicules,
Voyez, la mort descend sur les hommes, et rien
N’en reste dont voudrait, pour sa pâture, un chien.
Ainsi que des paquets d’éphémères, les vies
S’en vont nul ne sait où ; l’ouragan les charrie.
–Avoir aimé, vécu, puis rien, rien que du noir !
Ô voix, nous ne saurions ces mots les concevoir ;
Mais à notre regard, borné par la nature,
Si pauvrement se peint l’existence future
Que nous imaginons, plutôt, la foule en deuil
Accourant submerger de fleurs notre cercueil.
Et lorsque nous semons des actes sur la route,
À notre vanité nécessaire, s’ajoute
La foi que l’on suivra notre exemple à genoux
Et que longtemps, longtemps on parlera de nous.
–Rares sont les éclairs dans vos âmes avides.
Contre un moment d’envol vous passez mille jours
À satisfaire un idéal de basse-cour.
Brusquerez-vous le temps à coups d’espoirs splendides ?
–Comme des avions après leur ciel conquis
Reviennent sur la terre où leur force naquit,
Nous ne pouvons longtemps vivre d’apothéoses.
Voix du néant, qui nous atteins, les jours moroses,
Et troubles notre cœur épris d’éternité,
Ton rire est impuissant à nous faire douter
Que l’homme cache en lui la grandeur immanente.
Nous narguons le calcul de la raison mordante
Et notre âme jamais ne comprendra la nuit.
Suspendus aux cheveux de la terre qui fuit,
Nous évoquons encore nos heures solennelles,
Rêvant qu’il restera de nous une étincelle.