Alphonse Beauregard

Résignation.

Depuis un temps difforme, imprécis et mauvais,
On subissait le poids du malheur, on savait
Que du soi de jadis on n’était plus que l’ombre,
Mais l’esprit dérouté vaguait sur les décombres.
Puis, d’un coup, comme si mille rayons vainqueurs
Ensemble eussent frappé le point de la douleur,
La vérité paraît, brutale, irréductible :
Ce bonheur coutumier, constamment accessible,
Eau claire qu’on buvait sans même y réfléchir,
Jamais on ne pourra de nouveau le saisir.
Parmi d’autres bonheurs, musique tatillonne,
L’unique vrai, l’absent, fougueusement claironne.
L’amertume s’abat sur le cœur et l’étreint.
On revoit ceux qui vont leur route avec entrain,
Et l’on est dans son âme un paria qui roule
Dans la boue, en crachant un blasphème à la foule.
On se réveille las, mais sur la terre encore ;
On est surpris devant un familier décor,
Étrangement les sons parviennent à l’oreille.
Il circule du sable en soi depuis la veille.
L’idée a des ressacs autrefois inconnus,
Au cri d’une douleur des spectres sont venus.
On se prend à compter, alentour, ceux qui souffrent,
On voit, à l’horizon, se profiler des gouffres
Où des peuples entiers râlent dans les tourments.
Dans ces mers d’angoisse et de gémissements
On trouve puérile et banale sa peine
Qui ne menace pas d’une tombe prochaine ;
On chasse le tableau d’un essor triomphal
Comme un intrus dont la présence fait du mal.
Plus tard on songe, en remontant vers son enfance,
Qu’on voit depuis toujours, avec indifférence,
De multiples bonheurs de soi-même éloignés,
Et qu’on est seulement un peu plus résigné.

Les alternances (1921)

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