Victor Hugo

L’église (II)

                             II.
 
Tout était d’accord dans les plaines,
Tout était d’accord dans les bois
Avec la douceur des haleines,
Avec le mystère des voix.
 
Tout aimait ; tout faisait la paire.
L’arbre à la fleur disait : Nini ;
Le mouton disait : Notre Père,
Que votre sainfoin soit béni !
 
Les abeilles dans l’anémone
Mendiaient, essaim diligent ;
Le printemps leur faisait l’aumône
Dans une corbeille d’argent.
 
Et l’on mariait dans l’église,
Sous le myrte et le haricot,
Un oeillet nommé Cydalise
Avec un chou nommé Jacquot.
 
Un bon vieux pommier solitaire
Semait ses fleurs, tout triomphant,
Et j’aimais, dans ce frais mystère,
Cette gaieté de vieil enfant.
 
Au lutrin chantaient, couple allègre,
Pour des auditeurs point ingrats,
Le cricri, ce poète maigre,
Et l’ortolan, ce chantre gras.
 
Un vif pierrot, de tige en tige,
Sautait là, comme en son jardin ;
Je suivais des yeux la voltige
Qu’exécutait ce baladin,
 
Ainsi qu’aux temps où Notre-Dame,
Pour célébrer n’importe qui,
Faisait sur ses tours, comme une âme,
Envoler madame Saqui.
 
Un beau papillon dans sa chape
Officiait superbement.
Une rose riait sous cape
Avec un frelon son amant.
 
Et, du fond des molles cellules,
Les jardinières, les fourmis,
Les frémissantes libellules,
Les demoiselles, chastes miss,
 
Les mouches aux ailes de crêpes
Admiraient près de sa Phryné
Ce frelon, officier des guêpes,
Coiffé d’un képi galonné.
 
Cachés par une primevère,
Une caille, un merle siffleur,
Buvaient tous deux au même verre
Dans une belladone en fleur.
 
Pensif, j’observais en silence,
Car un coeur n’a jamais aimé
Sans remarquer la ressemblance
De l’amour et du mois de mai.

Les chansons des rues et des bois (1865)

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