Sophie d'Arbouville

Je me tais et je pleure

À Madame *** qui demandait des vers pour son album.
 
 
Les vers n’arrivent pas au gré de mon désir,
L’heure du feu sacré ne saurait se choisir.
Dites-vous au bouton qu’il devienne une rose,
À l’oiseau dans son nid que sa couvée éclose ?
Pourquoi me dire à moi : « Prends ton luth pour chanter ? »
Les feuilles loin du vent ne sauraient s’agiter ;
Et comme elles j’attends, immobile et timide,
Qu’une brise du ciel, dans sa course rapide,
Vienne douce et suave, inclinant les buissons,
Comme aux feuilles des bois m’arracher quelques sons.
 
Ne forcez point mes chants, je n’ai vu que l’aurore ;
Pour moi, si Dieu le veut, le jour est long encore !
Doux espoir ou regret, amertume ou plaisir,
Indécise en son vol, mon âme veut choisir ;
Elle parcourt la vie, effleurant chaque chose ;
Elle espère et soupire, et sur rien ne se pose.
Ainsi l’on voit l’abeille, active en son labeur,
S’agitant dans les airs, chercher longtemps la fleur,
Qui, livrant ses trésors à son aile légère,
Lui permet de porter son doux miel à la terre.
Mais hélas ! nul calice, entr’ouvert à ma voix,
Ne veut, dans ses parfums, laisser baigner mes doigts ;
Je m’arrête, interdite au seuil de ma demeure :
En vain je veux chanter... je me tais et je pleure !

Poésies et nouvelles (1840)

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