Sophie d'Arbouville

Sur les paroles d’un croyant

                               1835.
 
Seigneur ! vous êtes bien le Dieu de la puissance.
Que deviennent sans vous ces hommes qu’on encense ?
Si d’un souffle divin vous animez leur front,
Ils montent jusqu’aux deux, en saisissant leur lyre !
Votre souffle s’écarte... ils tombent en délire
               Dans des gouffres sans fond.
 
Pourquoi, Dieu créateur, détruisant votre ouvrage,
Du chêne encor debout dessécher le feuillage ?
Magnifique, il planait entre le ciel et nous ;
Sa grandeur expliquait la grandeur infinie,
Il servait de degrés à mon faible génie
               Pour monter jusqu’à vous.
 
Le plus beau de vos dons est la mâle éloquence,
Qui soumet, par un mot, un monde à sa puissance ;
Sceptre, devant lequel tout fléchit et se tait.
Mais le Dieu juste et bon, des talents qu’il nous donne
Demande compte, et dit au pécheur qui s’étonne :
               « Ingrat, qu’en as-tu fait ? »
 
Et toi, prêtre du Dieu qui bénit la chaumière,
Qui dit à l’étranger : « L’étranger est ton frère,
« Nourrisse s’il a faim, couvre-le s’il est nu ; »
Du Dieu qui ne voulut qu’un sanglant diadème,
Qui laissa sur la terre un agneau pour emblème ;
               Prêtre ! que réponds-tu ?
 
Tu souris dans tes chants à l’orage qui gronde ;
Son tonnerre lointain fait frissonner le monde :
Il s’ébranle.... et l’espoir illumine ton front.
Baissant à ton niveau le Dieu de l’Évangile,
Ta voix dans les clameurs de la guerre civile,
               Ose lancer son nom !
 
Quand de ce noir chaos s’élève un cri d’alarme,
Pour courir au combat, chacun saisit son arme :
Sur la mer, le vaisseau laisse un sillon de feu ;
Dans nos camps, les canons vomissent la mitraille,
Le vieux soldat saisit son sabre de bataille...
               Et toi, tu prends ton Dieu !
 
Arrête ! Dieu résiste à ton bras téméraire ;
Son temple s’est ému ; des voûtes de Saint-Pierre,
Des portiques de Rome, un cri s’est échappé...
Tandis qu’avec orgueil tu chantais ta victoire,
De ta tète tombait l’auréole de gloire ;
               La foudre t’a frappé !
 
Sur les trônes, ta voix a lancé l’anathème ;
Elle a dit, de nos rois souillant le diadème :
« Que leur coupe est un crâne où ruisselle le sang. »
Va ! ne mets pas de frein à ta bouche parjure ;
Les rois n’ont pas de mots pour répondre à l’injure,
               C’est Dieu qui les détend !
 
Quoi ! les rois sont maudits parla bouche d’un prêtre !
Interprète de Dieu, c’est par ce Dieu, ton maître,
Qu’au trône d’Israël Saül fut appelé :
« Voici l’Oint du Seigneur ! » dit-il à son prophète,
Qu’Israël obéisse ! il est roi ; sur sa tête,
               L’huile sainte a coulé. »
 
Oh ! rends-nous, Lamennais, le printemps de ta vie,
Ces chants que répétait ma jeune âme ravie ;
Mon cœur ne s’émeut plus aux accents de ta voix ;
De ton noble flambeau s’éteignit la lumière,
Et je pleure, à genoux, dans mon humble prière,
               Ta gloire d’autrefois !
 
Puis, je vais demander au pasteur du village,
Comment on sert le Dieu, qui, détournant l’orage,
Protège dans les champs la gerbe qui mûrit ;
Qui donne au laboureur, de ses mains paternelles,
Le pain de la journée, ainsi qu’aux tourterelles
               Le grain qui les nourrit.
 
Mon âme se repose en la douce parole
Du ministre d’un Dieu qui soutient et console.
Rougis, Esprit brillant, toi qui souffles sur nous,
Au nom du Dieu de paix, le trouble et le carnage ;
Voici les mots sacrés du pasteur du village :
               « Mes frères, aimez-vous ! »

Poésies et nouvelles (1840)

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