Paul Verlaine

César Borgia

Sur fond sombre noyant un riche vestibule
Où le buste d’Horace et celui de Tibulle
Lointain et de profil rêvent en marbre blanc,
La main gauche au poignard et la main droite au flanc,
Tandis qu’un rire doux redresse la moustache,
Le duc César, en grand costume, se détache.
Les yeux noirs, les cheveux noirs et le velours noir
Vont contrastant, parmi l’or somptueux d’un soir,
Avec la pâleur mate et belle du visage
Vu de trois quarts et très ombré, suivant l’usage
Des Espagnols ainsi que des Vénitiens,
Dans les portraits de rois et de patriciens.
Le nez palpite, fin et droit. La bouche, rouge,
Est mince, et l’on dirait que la tenture bouge
Au souffle véhément qui doit s’en exhaler.
Et le regard errant avec laisser-aller,
Devant lui, comme il sied aux anciennes peintures,
Fourmille de pensers énormes d’aventures.
Et le front, large et pur, sillonné d’un grand pli,
Sans doute de projets formidables rempli,
Médite sous la toque où frissonne une plume
S’élançant hors d’un nœud de rubis qui s’allume.

Poèmes saturniens (1866)

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