Maurice Rollinat

Le grand cercueil

Il pleuvasse avec du tonnerre...
Il est déjà tard... quand on voit
Dans le bourg entrer le convoi
De la défunte octogénaire.
 
La clarté du jour s’est enfuie.
Tristement, la voiture à bœufs
A repris son chemin bourbeux :
Le cercueil attend sous la pluie.
 
Un lent tintement qui vous glace
Dégoutte morne du clocher :
Voici tout le monde marcher
Vers la grande croix de la place,
 
Quand il s’approche de la pierre
Pour lever le corps, le curé,
Tout en chantant, reste effaré
Par l’énormité de la bière.
 
Certes ! avec ses planches massives,
Espèces de forts madriers
Crevassés, noueux, mal taillés,
Qui remplaceraient des solives,
 
Elle apparaît si gigantesque
En épaisseur, en large, en long,
Si haute, d’un tel poids de plomb,
Qu’à la voir on en frémit presque.
 
Elle s’étale sans pareille,
D’autant plus démesurément
Qu’elle renferme seulement
Un mince cadavre de vieille.
 
L’immense couvercle en dos d’âne
A l’air aussi grand que les toits ;
Le drap trop court montre son bois
Roux et jaune comme un vieux crâne.
 
Et tandis que d’une aigre sorte
Les enfants de chœur vont hurlant,
Le prêtre est là, se rappelant
Les dimensions de la morte.
 
« Qu’avait-elle ? cinq pieds, à peine !
C’était maigre et gros comme rien !
Un seul corps pour ça qui peut bien
En contenir une douzaine !
 
En a-t il fallu de la paille !
Aura-t-on dû l’empaqueter
Pour l’empêcher de ballotter
Comme un grain dans une futaille !
 
Quel menuisier ! ça tient du songe !
Il doit sûrement celui-ci
Avoir le regard qui grossit,
Et dans sa main le mètre allonge ! »
 
Les porteurs pliant sous leur charge,
En nombre, comme de raison,
Semblent traîner une maison.
Le brancard est bien long et large,
 
Mais, il est usé ! quoi qu’on dise,
Puisque, hélas ! le monstre ligneux
Croule avec un bruit caverneux,
Juste en pénétrant dans l’église.
 
C’est un bras du brancard qui casse...
On hisse l’effrayant cercueil
Sur l’estrade—et les chants de deuil
Sont bâclés sous la voûte basse.
 
Puis, les cloches vont à volées...
À la montée, oh ! que c’est dur
Et long !—Enfin ! voici le mur
Que dépassent les mausolées.
 
Le chantre mêle sa voix fausse
Au bruit sourd des pas recueillis.
Debout, s’offre aux yeux ébahis
Le vieux sacristain dans la fosse.
 
L’ombre vient. Personne ne bouge.
L’homme surmène, haletant,
Ses deux outils où par instant
Le soleil met un reflet rouge
 
Brusque, le curé l’interpelle :
« Eh bien ! y sommes-nous ? » Et lui
Quitte la fosse avec ennui
En poussant sa pioche et sa pelle.
 
Le gouffre baille son mystère :
Mais, le cercueil n’y glisse pas.
« Je m’en doutais ! » grogne tout bas
Le sacristain qui rentre en terre.
 
Il remonte. On reprend la boîte
Qu’on ajuste du mieux qu’on peut.
Mais, il s’en faut toujours un peu :
La tombe est encore trop étroite.
 
De nouveau, la pioche luisante
Descend l’élargir. Cette fois,
Le cercueil y coule à plein bois
En même temps qu’on l’y présente.
 
Au bord du trou, qui s’enténèbre.
Un vieux qui tient le goupillon
Émet cette réflexion
En guise d’oraison funèbre :
 
« Elle a bien mérité sa fosse !
C’est égal ! tout d’même, elle était
Trop p’tit’ quand elle existait
Pour faire une morte aussi grosse ! »
 
Et, sous sa chape très ancienne,
Haut, solennel,—l’officiant
S’en revient en s’apitoyant
Sur sa défunte paroissienne :
 
« L’infortune l’a poursuivie !...
« Pauvre cadavre enguignonné !...
« Tout pour elle aura mal tourné,
« Dans la mort comme dans la vie ! »

Paysages et paysans (1899)

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