Maurice Rollinat

La petite sœur

En gardant ses douze cochons
Ainsi que leur mère qui grogne,
Et du groin laboure, cogne,
Derrière ses fils folichons,
 
La sœurette, bonne d’enfant,
Porte à deux bras son petit frère
Qu’elle s’ingénie à distraire,
Tendre, avec un soin émouvant.
 
C’est l’automne : le ciel reluit.
Au long des marais de la brande
Elle va, pas beaucoup plus grande,
Ni guère plus grosse que lui.
 
Ne s’arrêtant pas de baiser
La petite tête chenue,
Sa bouche grimace, menue,
Rit à l’enfant pour l’amuser.
 
Elle lui montre le bouleau ;
Et lui dit : « Tiens ! la belle glace ! »
Et le tenant bien, le déplace
Pour le pencher un peu sur l’eau.
 
Et puis, par elle sont épiés
Tous les désirs de ses menottes ;
Elle chatouille ses quenottes,
Elle palpe ses petits pieds.
 
Sa chevelure jaune blé
Gazant son œil bleu qui l’étoile,
Contre le soleil fait un voile,
Au baby frais et potelé.
 
Ils sont là, parmi les roseaux,
Dans la Nature verte et rousse,
Au même titre que la mousse,
Les insectes et les oiseaux :
 
Aussi poétiques à l’œil,
Vénérables à la pensée !
Double âme autant qu’eux dispensée
De l’ennui, du mal et du deuil !
 
Par instants, un petit cochon,
Sous son poil dur et blanc qui brille,
Tout rosâtre, la queue en vrille,
Vient vers eux d’un air drôlichon.
 
Il s’en approche, curieux,
Les lorgne comme deux merveilles,
Et repart, ses longues oreilles
Tapotant sur ses petits yeux.
 
Et puis, c’est un lézard glissant,
Ou leur chienne désaccroupie,
Éternuant, tout ébaubie,
Pendant son grattage plaisant.
 
Alors la sœur dit au petiot
Dont l’œil suivait un vol de mouche :
« Regarde-la donc qui se mouche
« Et qui s’épuce—la Margot ! »
 
Au souffle du vent caresseur
Chacun fait son bruit monotone :
Ce qu’elle dit—ce qu’il chantonne :
Même vague et même douceur !
 
Entre des vols de papillons
Leur murmure plein d’indolence
S’harmonise dans le silence
Avec la chanson des grillons.
 
Mais le marmot que le besoin
Gouverne encore à son caprice
Crie et réclame sa nourrice
En agitant son petit poing.
 
Ses pleurs sont à peine séchés
Qu’il en reperle sur sa joue...
La sœurette lutine et joue
Avec ces chagrins si légers.
 
À mesure qu’il geint plus fort,
Que davantage il se désole,
Sa patience le console
Avec plus de sourire encor.
 
Le tourment de l’enfant navré
A grossi les larmes qu’il verse...
Elle le berce—elle le berce,
Le pauvre tout petit sevré !
 
Elle l’appelle « son Jésus ! »
Le berce encore et lui reparle,
Tant qu’elle endort le petit Charles,
Mais l’âge reprend le dessus.
 
Elle est fatiguée, elle a faim.
Elle va comme une machine,
Renversant un peu son échine
Sous ce poids trop lourd à la fin.
 
L’enfant recommence à crier :
Sa sœur met sa force dernière
À le porter—taille en arrière
Que toujours plus on voit plier.
 
C’est temps qu’il ne dise plus rien !
Sur sa capote elle le pose,
Et pendant qu’il sommeille, rose,
Elle mange auprès, va, revient,
 
D’un pied mutin, vif et danseur.
Et quand le petiot se réveille,
Il retrouve toujours pareille
La Maternité de sa sœur.

Paysages et paysans (1899)

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