Marceline Desbordes-Valmore

Un arc de triomphe

Tout ce qu’ont dit les hirondelles
Sur ce colossal bâtiment,
C’est que c’était à cause d’elles
Qu’on élevait un monument.
 
Leur nid s’y pose si tranquille,
Si près des grands chemins du jour,
Qu’elles ont pris ce champ d’asile
Pour causer d’affaire, ou d’amour.
 
En hâte, à la géante porte,
Parmi tous ces morts triomphants,
Sans façon l’hirondelle apporte
Un grain de chanvre à ses enfants.
 
Dans le casque de la Victoire
L’une, heureuse, a couvé ses œufs,
Qui, tout ignorants de l’histoire,
Éclosent fiers comme chez eux.
 
Voulez-vous lire au fond des gloires,
Dont le marbre est tout recouvert ?
Mille doux cris à têtes noires
Sortent du grand livre entr’ouvert.
 
La plus mince qui rentre en France
Dit aux oiseaux de l’étranger
« Venez voir notre nid immense.
Nous avons de quoi vous loger. »
 
Car dans leurs plaines de nuages
Les canons ne s’entendent pas
Plus que si les hommes bien sages
Riaient et s’entr’aimaient en bas.
 
La guerre est un cri de cigale
Pour l’oiseau qui monte chez Dieu ;
Et le héros que rien n’égale
N’est vu qu’à peine en si haut lieu.
 
Voilà pourquoi les hirondelles,
À l’aise dans ce bâtiment,
Disent que c’est à cause d’elles
Que Dieu fit faire un monument.

Bouquets et prières (1843)

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