Louise Colet

Les doutes de l’esprit.

Souvent, dans mes accords, ardents, enthousiastes,
Des grandes nations se déroulaient les fastes,
Ou, détournant mes yeux de ce globe terni,
Je déployais mon vol aux champs de l’infini !...
 
       L’univers, dans toutes ses phases
       A mes regards venait s’offrir :
       C’étaient d’ineffables extases,
       Des ravissements à mourir !
 
       Pouvoir incréé qui fécondes !
       Chaos, enfantement des mondes !
       Naissance, mort, vie à venir !
       Néant ! Éternité profonde !
       Mystères, qu’aucun œil ne sonde !
       J’aurais voulu vous définir !...
 
       Je m’égarais dans ces dédales,
       Où, des lueurs sombres, et pâles,
       N’éclairent pas nos sens bornés !
       Et, maudissant ma dépendance,
       J’osais dire à la Providence :
       Hélas ! Pourquoi sommes-nous nés ?...
 
Ainsi, dès son éveil, notre pensée immense
Ne saurait s’arrêter, où l’inconnu commence ;
Elle aspire plus haut, elle ose tout sonder,
D’une ardente lumière, elle veut s’inonder :
Oubliant son néant, elle veut, orgueilleuse,
Poursuivre, dans les cieux, sa route périlleuse
Et, quand le Dieu caché résiste à son appel,
Sur ses créations promenant le scalpel,
Elle enchaîne son vol à l’aride science.
Qui dessèche le cœur, flétrit la conscience :
Elle dissèque, alors, ce qu’elle avait senti.
L’instinct, qui la guidait, se trouve anéanti ;
Elle devient bornée, en devenant coupable ;
Elle doute de tout ce qui n’est pas palpable ;
Fière de son pouvoir, froid, superficiel,
Elle explore la terre, analyse le ciel :
Et, des mondes sans nombre assignant l’harmonie.
Les rend indépendants de ce Dieu qu’elle nie.
 
Malheur, dans leur démence, aux mortels assez vains
Pour vouloir pénétrer ces mystères divins !
Au flambeau vacillant, dont l’éclat les égare,
Ils consument leur âme, et tombent comme Icare !...
 
Enfant audacieux, moi je voulais, aussi,
Révéler à la foule un grand doute éclaira ;
Je voulais, m’entourant de ces fausses lumières,
Soumettre à l’examen mes croyances premières ;
Et par les arguments d’un stérile savoir,
Expliquer chaque objet qui venait m’émouvoir !
 
Cette soif de l’orgueil, dont rien ne nous délivre,
J’allais, pour l’étancher, fouiller de livre en livre :
J’interrogeai, longtemps, ces esprits renommés,
Qui tracent, ici-bas, des sillons enflammés ;
Êtres présomptueux, créateurs de systèmes,
Qui n’ont point résolu nos éternels problèmes,
Et qui, pour imposer leur ténébreuse loi,
Ont tari l’espérance, en altérant la foi.
 
Mais celui, qu’en naissant, la poésie embrase,
De ces sucs corrompus n’épuise pas le vase ;
Il effleure ses bords, rejette sa liqueur,
Et force son esprit, à croire avec son cœur !
Au sein de ses erreurs, la vérité surnage ;
Ainsi, je revins pure à la foi du jeune âge,
A cette foi du ciel, dont nous gardons le sceau ;
A cet instinct inné, qui nous suit au berceau :
Qui guide, à notre insu, nos sentiments intimes,
Et, nous révèle Dieu par ses œuvres sublimes.

Fleurs du midi (1836)

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