Joseph Autran

Le verger

Agile, adroit,—cheveux livrés aux folles brises,
L’aîné de la famille, enfant de quatorze ans,
Oublieux de l’école et des heures assises,
Grimpe à cheval dans l’arbre aux longs rameaux luisants
               Où pendent les cerises.
 
Les autres sont au pied, jeunes fronts plus petits,
Accourus cependant comme un essaim d’abeilles.
Ils regardent là-haut, l’un par l’autre avertis,
Cette branche, ce brin, dont les grappes vermeilles
               Tentent leurs appétits.
 
—A toi, dit l’écolier, à toi, Pierre, et sois leste !
A toi, Rose ! À deux mains ouvre ton tablier.
Jeanne ! Ton frais butin n’est pas le plus modeste.
Enfin toi, cher petit, que j’allais oublier,
               Attrape ce qui reste !
 
De ce petit, hélas, qui tend la main trop tard.
L’espérance est déçue, et l’écolier s’en joue.
Mais Rose, tendre cœur et limpide regard.
Vient a lui, dont les pleurs déjà mouillent la joue,
               Et lui donne sa part.
 
Non loin, sur le banc vert, immobile en sa pose.
La mère voit le groupe et reste l’admirant :
Et, tandis que son cœur tout entier s’y repose.
L’ombrelle sur son front, asile transparent.
               Jette un beau reflet rose !
 
Auprès d’elle, un oiseau perche dans le buisson,
Gai bouvreuil dont la voix donne toute sa gamme :
La mère, à ce refrain, sent comme un doux frisson,
Et croit du bonheur pur qui chante dans son âme
               Entendre la chanson !

Le Poème des beaux jours (1862)

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