Joseph Autran

La chanson d’octobre

J’ai reparu sur la colline
Dans un nuage aux franges d’or,
Je suis la beauté qui décline ;
Mais, à mes charmes, on devine
Que les cœurs me suivent encore !
 
Ce n’est plus la fraîche auréole,
Ce n’est plus l’éclat des grands jours ;
C’est la pâleur, déjà plus molle,
D’un front qui se penche et s’isole,
Au souvenir de ses amours.
 
Adieu les grâces qu’on déploie,
Les beaux romans faits à loisir ;
Adieu l’extase, adieu la joie
D’un cœur qui s’arrête ou se noie
Au bord des coupes du plaisir !
 
Ah ! Cet adieu, quand je le chante
Un feu nouveau brûle mon sein :
La voix du passé, provocante,
M’irrite, et je suis la bacchante
Qui part pour le coteau voisin.
 
Vendangeurs, tendez vos corbeilles ;
Vigneron, retourne au pressoir !
Sous la dépouille de vos treilles,
J’arrive, et mes jambes vermeilles
Chancellent au souffle du soir.
 
Évohé ! Les défis sans nombre
Se mêlent au chant des buveurs,
Dérobons-nous dans le bois sombre :
Les fruits tardifs, cueillis dans l’ombre,
Ont encore d’étranges saveurs !
 
L’aurore écartera l’ivresse :
Écuyer, selle mon cheval !
Que la meute à ma voix se presse ;
Je suis l’Automne chasseresse
Qui parcourt la plaine et le val.
 
Je vais, je viens, fière et meurtrie ;
Puis, enfin, lasse à mon retour,
Je me replonge en rêverie,
Sur ce lit de feuille flétrie
Qui s’amasse au pied de ma tour !
 
Et maintenant, murmure et pleure,
Vent précurseur des mois glacés.
Je sais une chanson meilleure ;
Et je l’entonne, quand vient l’heure,
En souvenir des jours passés !
 
J’ai reparu sur la colline
Dans un nuage aux franges d’or,
 
Je suis la beauté qui décline ;
Mais, à mes charmes, on devine
Que les cœurs me suivent encore !

Le Poème des beaux jours (1862)

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