Joseph Autran

La côte d’Italie

Te voilà donc enfin, toi si longtemps rêvée !
Des eaux que je sillonne enfin tu t’es levée,
Italie, où tendaient mes vœux les plus constants !
Ô terre ! Terre antique et toujours si nouvelle,
Laisse-moi te bénir, toi que Dieu me révèle
Sous le premier rayon d’un matin de printemps.
 
Te voilà ! C’est bien toi qu’adore tout artiste :
Pays de grâce austère et de majesté triste,
Souriant aux splendeurs d’un ciel toujours serein ;
Vieux foyer qui jetas jadis tant d’étincelles ;
Auguste région, la plus sainte entre celles
Qu’aborde avec respect le barde pèlerin !
 
Oui, c’est toi ; c’est ton ciel, pure et sublime tente,
Pavillon, d’où, semant ses lis, l’aube éclatante
Descend sur tes sommets rajeunis chaque jour.
C’est bien ta blonde mer, dont la vague te presse,
Et qui, t’enveloppant d’une immense caresse,
Murmure à tes deux bords son éternel amour.
 
Ce sont bien là tes monts teints de pourpre et de rose,
Tes Apennins brillants où la neige repose,
Couronne en qui survit l’éclat de ton destin !
C’est bien là l’heureux sol qui réunit sans cesse
L’antiquité rigide à la verte jeunesse,
Les débris d’un vieux siècle aux roses d’un matin.
 
Ce sont bien les senteurs de tes douces collines,
Parfums des orangers, parfums des aubépines
Qui, jusques à nos mâts, nous viennent dans le vent !
Ce sont bien là les bruits annonçant tes approches :
Chansons de tes hameaux, carillons de tes cloches,
Que, des bords du navire, on écoute en rêvant.
 
Au vol du paquebot, galère diligente,
Il est doux d’explorer cette côte changeante,
Arabesque dont l’œil admire chaque anneau :
Palmiers, clochers, maisons de soleil irisées,
Bourgades que la langue a si bien baptisées :
Ventimille, Albenga, Noli, San-Stefano.
 
Au fond du golfe pur, enfin brille et s’étale
Gênes, ville des fleurs, cité monumentale,
Où la nature aux arts toujours se maria ;
Gênes qu’avec amour nomme la Ligurie,
Et qui nomme elle-même, orgueilleuse patrie,
Les deux marins géants : Colomb et Doria !
 
Ô fortuné pays ! Depuis les anciens âges,
Depuis que les vaisseaux apportent à tes plages
De pieux voyageurs attirés par ton nom,
Jamais un pèlerin, poète au cœur de flamme,
N’éprouva mieux que moi cette extase de l’âme
En voyant émerger ta côte à l’horizon.
 
Ce que j’y viens chercher, ce n’est pas, dans ta poudre,
La trace des Césars tombés avec leur foudre,
C’est celle des seuls dieux dont l’empire survit,
C’est le sol des esprits vierges de tout mélangé,—
Où peignit Raphaël, où sculpta Michel-Ange,
Où parla Cicéron, où Virgile écrivit !
 
De ces dieux éternels mère, je te salue !
Je te salue, ô plage entré toutes élue.
Pour charmer les esprits et séduire les yeux ;
Terre de poésie en prodiges féconde,
Que Dieu, dans sa bonté, confie à ce bas monde
Gomme un fragment sacré du royaume des cieux !
 
Heureux le flot qui roule à tes grèves fidèle,
Heureux l’oiseau rapide, heureuse l’hirondelle
Qui sur tes bords en fleurs va descendre avant moi !
Heureux chaque vaisseau qui vogue vers ta rive !
Heureux tout jeune cœur qui sous ton ciel arrive !
Heureux tout ce qui nage et court et vole à toi !

Les Poèmes de la mer (1859)

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