Joseph Autran

Endoume

Des chemins où l’on va plongeant dans la poussière
Et réclamant en vain quelque ombrage sauveur ;
Des coteaux dépouillés de glèbe nourricière,
Des rocs blancs, dont l’éclat offense la paupière,
Tant le soleil d’été les baise avec ferveur,
 
Des terrains sans culture, où les chèvres du pâtre
Achèvent un gazon que le mistral brûla,
Quatre pins inclinés sur la roche marâtre,
Et puis quelques maisons dont la pierre grisâtre
S’écaille au vent de mer,—Endoume, te voilà !
 
Cependant, plus qu’un sol prodigue de merveilles,
Plus qu’un jardin riant au printemps bienvenu,
Plus que les doux vallons, hantés par les abeilles,
Où les ruisseaux d’argent baignent les fleurs vermeilles,
Le peuple de ma ville aime ce rocher nu.
 
Et, quand du long travail meurt enfin la semaine,
Ces lieux pour le repos sont à jamais choisis :
Femmes, filles,—enfants qu’à la remorque on mène,
Vieillards et jouvenceaux partent, guirlande humaine,
Heureux d’aller revoir la stérile oasis.
 
Et, du dimanche saint quand luit l’aube éclatante,
Chaque toit du village arbore un pavillon ;
Devant chaque maison se déploie une tente ;
Et là, cœurs satisfaits, ce seul jour les contente
Plus que s’ils recevaient tout l’or d’un galion.
 
De l’aurore à la nuit, on chante, on rit, on danse.
Chaque pan de coteau porte un joyeux essaim.
Partout les tambourins résonnent en cadence ;
Et le rocher, surpris, admire l’abondance
Des festins étalés sur son aride sein.
 
Pour l’infertile sol d’où naît cette tendresse ?
Pourquoi tant de chansons et de rires dans l’air ?
Pourquoi tant de gaîté sur tant de sécheresse ?
—C’est qu’au pied des coteaux où la foule se presse
S’étend la mer d’azur, la radieuse mer ;
 
La mer que nous aimons d’une amour infinie,
Nous, avec nos aïeux, de la Grèce venus,
Nous, tes dignes enfants, maternelle Ionie,
Qui dus tout à la mer,—qui lui dus ton génie,
Ta fortune, et ta gloire, et la blonde Vénus !
 
C’est que nous la voyons ici, de la falaise,
Pâle et rose, au matin, sous la brume qui fuit
A midi, scintillant ainsi qu’une fournaise,
Calme et suave au soir, lorsque le vent s’apaise,
Et reflétant au loin les splendeurs de la nuit.
 
C’est qu’en face, à travers une vapeur dorée,
Se découpent si bien nos incultes îlots,
Qu’un promeneur, enfant de la race lettrée,
Rêve d’archipel grec, d’Ithaque, île sacrée !
Et que le Château d’If lui semble une Délos !
 
C’est qu’assis au banquet servi sur la terrasse,
On aime à voir cingler dans le golfe endormi
La barque au foc tendu qui s’incline avec grâce,
A saluer du cœur le navire qui passe,
A songer que, peut-être, il ramène un ami !
 
Enfin, c’est que les toits épars sur cette côte
Sont comme de vieux troncs rugueux mais pleins de miel,
Et que toujours au seuil nous trouvons chez notre hôte
Sourire fraternel, vif esprit, âme haute,
Cœur grand comme la mer et bon comme le ciel !

Les Poèmes de la mer (1859)

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