Joseph Autran

Nostalgie

Encore un jour de brume, encore un jour de pluie,
Un jour de solitude au coin d’un pâle feu !
Depuis un mois, Paris qu’aucun soleil n’essuie
Grelotte, et, l’œil tourné vers ses toits noirs de suie,
Vainement cherche au ciel une trace de bleu.
 
Perdu dans un hôtel, vaste et sombre demeure
Qu’habite autour de moi tout un monde inconnu,
Je vieillis à compter l’heure semblable à l’heure ;
Et, derrière ma vitre où le vent souffle et pleure,
Je n’ai pour horizon qu’un mur lépreux et nu.
 
Il est pourtant, il est, loin de ce grand cloaque
Où tant de jeunes cœurs maudissent leur exil,
Loin de ces toits qu’opprime une nuée opaque,
Il est des cieux d’azur, beaux comme un ciel de Pâques,
Des jardins où novembre est riant comme avril !
 
Il est des archipels qu’un vent tiède parfume,
Des caps en fleurs que dore un soleil réchauffant,
Des plages que le flot baise de son écume,
Où, sans connaître encore ni l’ennui ni la brume,
Je vécus si joyeux, quand j’étais tout enfant !
 
Il est des matelots dont les blanches nacelles
Fendent en liberté des eaux de pur cristal...
Ah ! Pour y retourner d’un élan de mes ailes,
Que ne suis-je un de vous, alcyons, hirondelles,
Qui, là-bas, voltigez dans mon golfe natal !

Les Poèmes de la mer (1859)

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