Joseph Autran

Les convives

Au bord du clair bassin qu’à peine un souffle ride,
Eau pure où le regard jusqu’au sable descend,
Dans sa fleur du matin, dans sa beauté candide,
Rêvait la blonde enfant à l’œil tendre et limpide,
Au charme dangereux, s’il n’était innocent.
 
Parmi les roseaux verts tout frissonnants de joie,
La vierge était penchée, aussi belle qu’Amour ;
Et, sous sa blanche main qui s’y joue et s’y noie,
Grains de mil, grains de blé, dans sa poche de soie,
Roulaient avec le pain de son repas du jour.
 
Et sur le bleu vivier, dont l’eau sans bruit s’écoule,
Tantôt elle semait les miettes de son pain,
Tantôt, sur les gazons que pas un pied ne foule,
Grains de blé, grains de mil, volaient, volaient en foule,
Nuages dispersés par un jeu de sa main.
 
Et les petits poissons du ruisseau diaphane
Montaient, montaient sans cesse à la face des eaux ;
Et des arbres du bord, du saule ou du platane,
De tous les points du ciel où l’on vole, où l’on plane,
L’un de l’autre jaloux, arrivaient les oiseaux !
 
Et ces pillards de l’air, fondant sur la curée,
Des mille graines d’or enlevaient le butin ;
Et les petits poissons de la nappe azurée,
Bande aux vives couleurs, au régal attirée,
Se dérobaient entre eux les miettes du festin.
 
Et moi, qui vais partout recueillant quelque emblème,
Moi, de l’onde au gazon, laissant errer mes yeux :
Cette enfant, me disais-je, est la Muse elle-même,
La Muse des beaux jours qui, d’heure en heure, sème
Les trésors de son cœur en sons mélodieux.
 
Et ces troupes d’oiseaux, cet essaim des eaux vives,
Sont les âmes d’un peuple accourant aux doux sons :
Ah ! Muse, chère encore à tant d’âmes naïves,
Que du moins le banquet soit digne des convives,
Et que ni miel ni fleurs ne vaillent tes chansons !

Le Poème des beaux jours (1862)

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