Joseph Autran

Chanson d’un triton

Les vents fougueux, les vents déchaînés à grand bruit
Contre les noirs écueils, ce soir, déchirent l’onde.
Qu’ils soufflent ! Sous le toit de ma grotte profonde,
Tu pourras, sans danger, dormir toute la nuit :
Au bruit tumultueux de la vague irritée,
Dors d’un sommeil tranquille, ô blanche Galatée !
 
De l’orageux Notus quand retentit la voix,
Dans le creux des vieux pins la colombe se cache,
Et, repliant le front sous son aile sans tache,
Paisible, elle sommeille au murmure des bois ;
Au murmure des vents et de l’onde irritée,
Sommeille ici, comme elle, ô blanche Galatée !
 
Mes mains ont revêtu des tissus les plus doux
La couche bienheureuse où ta beauté repose,
Où, la bouche entr’ouverte et la paupière close,
Tu dors, à mes baisers livrant tes blancs genoux.
Au bruit des vents, au bruit de la vague irritée,
Dors sur le lin d’Egypte, ô blanche Galatée !
 
L’écume, qui jaillit de l’écueil à l’écueil,
Brille comme une neige aux sables de la grève ;
Mais, sous tes cheveux d’or que la brise soulève,
De quel plus frais éclat ton sein brille à mon œil !
Au murmure des vents et de l’onde irritée,
Dors sur la blanche plage, ô blanche Galatée !
 
A ses yeux dévoilé, ton corps au pur contour
Ferait pâlir Vénus, la superbe immortelle ;
Si riche en est la forme et la grâce en est telle
Que Jupiter témoin en sécherait d’amour.
Au bruit des vents, au bruit de la vague irritée,
Dors, belle pour moi seul, ô blanche Galatée !
 
Aux bords siciliens, ton effroyable amant
Te réclame, et de pleurs trempe son œil unique :
Laisse l’affreux vieillard de l’île volcanique
Grossir le cri des flots de son rugissement.
Au murmure des vents et de Fonde irritée,
Rêve d’un autre amour, ô blanche Galatée !
 
Entre les dieux des mers qui nagent par essaim,
Je n’ai qu’un rang modeste et qu’une humble fortune.
N’importe ! De tous ceux que commande Neptune,
Nul ne fait mieux que moi résonner le buccin.
Au bruit des vents, au bruit de la vague irritée,
Rêve à mes doux accords, ô blanche Galatée !
 
Dieu pauvre, et cependant riche de ton amour,
Je n’échangerais pas cette grotte de pierre
Pour l’antre de corail, de jaspe et de lumière,
Où notre vieux roi tient les nymphes de sa cour.
Au murmure des vents et de l’onde irritée,
Dore, seul bien de mes yeux, ô blanche Galatée !
 
En vain me souriraient tes plus aimables sœurs,
Amphitoé, Proto, Doris, Callianire,
Doto, Cymodocée et Némerte et Janire :
Pour moi tes seuls baisers abondent en douceurs.
Au bruit des vents, au bruit de la vague irritée,
Dors sans crainte jalouse, ô blanche Galatée !
 
Dors ! Au fond de la mer, de mes yeux si connu,
Au pied des caps moussus où la vague déferle,
Je vais recueillir l’ambre, et la nacre et la perle,
Qui pareront demain tes bras et ton sein nu.
Au murmure des vents et de l’onde irritée,
Rêve parure et gloire, ô blanche Galatée !
 
L’orage dissipé, l’éther n’est que plus pur :
Les cieux, demain, seront brillants, la mer sereine
Et toi, comme Téthis, l’éblouissante reine,
Tu te promèneras sur ta conque d’azur.
Au bruit des vents, au bruit de la vague irritée
D’un triomphe prochain rêve, ô ma Galatée !

Les Poèmes de la mer (1859)

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