Joseph Autran

Renaissance

Hier, la nue encore avait de sombres teintes,
La plaine était dans l’ombre et les cimes éteintes ;
Et la forêt qui dort, mélancolique à voir,
Découpait sur le ciel son réseau dur et noir.
Tout dormait : toits de chaume, éclairés d’un jour blême,
Étangs, bergers, troupeaux ; et la terre elle-même,
La terre, inerte et froide en ses voiles de deuil,
Avait l’air d’une aïeule étendue au cercueil.
 
Le temps n’a fait qu’un pas, et voici que la nue
Roule en ses plis vermeils la clarté revenue :
Un vent tiède et léger, sans passer par les monts,
De son souffle adouci réjouit les poumons ;
L’azur luit ; un vert tendre aux rameaux se déploie ;
Il flotte dans les airs comme un frisson de joie.
Et vous croiriez entendre, à ce frémissement,
Tous les bourgeons d’avril s’ouvrir confusément !
 
Salut, blancheur du ciel, de rayons sillonnée !
Première heure d’azur de la riante année !
Murmure, éclat, parfum, sursaut mystérieux
De tout ce qui tressaille et renaît sous les cieux.
 
Oh ! Renaître ! Oh ! Sentir enfin qu’on se relève
Dans toute sa fraîcheur et dans toute sa sève !
Comme l’arbre des bois, secouer son sommeil,
Se baigner de nouveau dans un flot de soleil.
Entendre encore chanter, sur son rameau qui tremble.
Et la feuille et l’oiseau qui s’éveillent ensemble :
 
Cette félicité de la ronce et du houx,
A l’homme seul, mon Dieu, la refuserez-vous ?
Faut-il que ce géant, que ce roi de la vie,
Même au cyprès des morts jette un regard d’envie,
Et que, seul de ce monde, il ne partage pas
Ce réveil du brin d’herbe écrasé sous son pas ?...
 
Non, non, vous renaîtrez dans mon sein jeune encore,
Enthousiasmes purs, croyances de l’aurore,
Divins songes qu’on rêve aux soirs de son printemps,
Fière virginité de toute âme à vingt ans !
Oui, ne fût-ce qu’un jour, Seigneur, que je m’éveille,
Ame renouvelée, à moi-même pareille,
Quand, sans regret, sans peur, austère adolescent,
Pour quelque droit sacré j’aurais donné mon sang ;
Quand, sous cette pâleur qu’une mère remarque,
Je passais tout un jour à relire Plutarque,
Et que, sur chaque ligne où la vertu brillait,
Les larmes de mes yeux arrosaient le feuillet !
Quand, épiant la nuit quelque forme aux longs voiles,
Je veillais jusqu’à l’heure où penchent les étoiles,
Attendant, bien des fois, dans la pluie et le vent,
Qu’un fantôme apparût sous le rideau mouvant,
Et qu’un gant de la veille, une rose flétrie.
Fût, de là-haut, jetée à mon idolâtrie !
Ou bien, quand, aux grands jours de Pâques ou de Noël,
Aux clartés, aux parfums dont s’entourait l’autel,
J’écoutais le saint peuple et l’orgue se répondre.
Et sentais tout mon être en extases se fondre !

Le Poème des beaux jours (1862)

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