Jean Aicard

À toi qui veux mourir.

Ôh ! ne t’envole pas, doux être,
Ma colombe aux plumes d’argent !
Reste : ici-bas tu fais connaître
La joie à mon cœur indigent !
 
Ne quitte pas, ma tourterelle,
L’arbre où nous vivons tous les deux,
Car moi je ne pourrais sans aile
Suivre ton élan hasardeux.
 
Je sais bien que la mort est douce
Quand on a contemplé souvent,
Vide, le petit lit de mousse
Qu’en vain berce et berce le vent !
 
Je sais bien qu’il est monotone
De chanter la même chanson,
De voir l’hiver après l’automne,
La saison après la saison !
 
Je sais bien que ta vie est noire,
Que ton fardeau devient trop lourd,
Et qu’il est de ton droit de croire
Que tout est dur, même l’amour !
 
Oui, ma charmante petite âme,
C’est trop souffrir, et trop longtemps ;
C’est trop vivre pour une femme :
Les fleurs ne vivent qu’un printemps !
 
Va, je sais ta souffrance intime,
Jeune femme au cœur soucieux...
Quand tu pleures, humble et sublime,
Tes larmes roulent dans mes yeux.
 
Mais, vois-tu, j’ai ma tâche morne ;
J’ai mon sillon dur à tracer
Dans cette plaine dont la borne
Doit tôt ou tard se dépasser.
 
Moi, vois-tu, j’ai ma gerbe à faire ;
J’ai mes souffrances à souffrir ;
J’arrive à peine sur la terre :
Je dois vivre avant de mourir !
 
Et, tout seul, j’ai peur et je tremble ;
Oh ! va, mêle ton cœur au mien ;
Ne meurs pas, et vivons ensemble
Si tu veux que je vive bien !
 
Je le sais, je devrais te dire :
« Laisse-moi, mon enfant, adieu !
Assez de pleurs ; il faut sourire,
Et ton sourire est fait pour Dieu ! »
 
Mais, enfin ! c’est bien difficile
De briser un amour constant,
Et seul, misérable, débile,
De crier au bonheur : « Va-t’en ! »

Les jeunes croyances (1867)

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