François-Marie Robert-Dutertre

Les bohèmes.

Pour quelle faute originelle,
Bohèmes qui tendez les mains,
Allez-vous ainsi, sans semelle,
De vos pieds user les chemins.
Nous, nous rêvons une industrie
Pour les enfants qui nous sont nés ;
Mais à l’orgue de barbarie
Les vôtres sont prédestinés.
 
La manivelle avec cadence
Moud des airs et vous fait du pain ;
Et cette Esméralda qui danse
En elle sent danser la faim.
Sur ses dents blanches le sourire
Qu’accompagne le tambourin
A peine éclos semble nous dire :
Je suis le rire du chagrin.
 
Quand dans ces pauvres filles d’Ève
S’épanouit la fleur d’amour,
Toujours en marche, leur doux rêve
Cherche un cœur ou faire séjour.
Elles prodiguent de la sorte
Des baisers au jeune passant ;
Mais ainsi que la feuille morte
Vole et se perd l’amour naissant.
 
Oh ! retournez à vos montagnes ;
L’homme s’épure dans l’azur ;
Époux aimés, chères compagnes,
Vous y connaîtrez l’amour pur.
Oui, guérissez ce mal étrange
Qui vous pousse en chaque cité ;
Au lieu de vivre dans la fange
Mieux vaut un roc inhabité.

Les loisirs lyriques (1866)

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