François-Marie Robert-Dutertre

Le bon docteur.

Près d’une mère une fille chérie
Sentait venir le dernier de ses jours.
Tout art est vain et c’est en vain qu’on prie ;
Contre le mal il n’est plus de recours.
Tous à la mort ont laissé sa victime ;
Un seul pourtant ne désespère pas.
Grande science et dévouement sublime !...
Le bon docteur la sauva du trépas.
 
Il croit dans l’âme, essence et divin type,
Et dans la vie, insondable secret ;
Il puise espoir à l’éternel principe
Tant qu’au regard une lueur paraît.
L’être souffrant consulte les oracles
Et tous les saints qu’on invoque tout bas ;
Mais son savoir seul faisant des miracles,
Le bon docteur le sauve du trépas.
 
Ils étaient là : Père, mère, famille.
La mort planait sur tous les pauvres lits ;
L’épidémie a pris la jeune fille,
Deux grands enfants ; restent seuls les petits.
Plus de secours : Rien qu’un prêtre en prière.
Demain, de tous on va sonner le glas ;
Mais il accourt à la triste chaumière,
Le bon docteur les sauve du trépas.
 
L’humanité, faible grain de poussière,
Est condamnée à mille maux divers.
De la naissance au bout de la carrière
Tout est péril pour nous dans l’univers ;
Mais du génie étendant le domaine
Et chaque jour plus loin portant ses pas,
S’il est permis à la science humaine,
Le bon docteur nous sauve du trépas.
 
Gens de loisirs, allez, faites orgie,
Vous qui passez vos nuits sous l’édredon.
A vous le luxe et sa folle magie,
A vous l’amour et son mol abandon.
De vos regards la misère s’efface ;
La volupté seule vous tend les bras.
Il est minuit et là-bas, face à face,
Le bon docteur lutte avec le trépas.
 
Élan du cœur qu’en lui chacun vénère,
Il met toujours l’argent hors de débat.
Il ne voit pas un outil mercenaire
Dans le scalpel, son arme de combat.
La charité rend son pas plus agile
Vers les mourants gisant sur des grabats.
En vrai chrétien, guidé par l’Évangile,
Le bon docteur les sauve du trépas.
 
L’art de guérir est un vrai sacerdoce ;
Avant tout autre il a sa mission.
A quoi sert-il, entourant une fosse,
Cet apparat, vaine procession ?
La psalmodie avec sa lente strophe
Murmure mal les adieux d’ici-bas ;
Mieux vaut pour nous le savant philosophe,
Le bon docteur qui sauve du trépas.
 
Pour un poème ou pour une statue
L’Institut s’ouvre au poète, au sculpteur ;
Pour un haut fait, sombre gloire qui tue,
Le preux soldat reçoit la croix d’honneur,
—Mais, bon docteur, ô toi qui nous fais vivre !
La main du temps te vengeant des ingrats
T’inscrit d’avance à cet immortel livre
Où sont les noms que l’oubli n’atteint pas.

Les loisirs lyriques (1866)

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