François-Marie Robert-Dutertre

La belle Espagnole.

La belle qui fait mon supplice
A l’œil mutin, plein de malice,
Et son bras nu vaut un trésor ;
On voit qu’elle fut, en Espagne,
Bercée aux vents de la montagne,
Sous les baisers d’un soleil d’or.
 
Sa taille est plus fine et gentille
Qu’on n’en vit jamais en Castille ;
Ses cheveux sont beaux à ravir,
Et l’éclair, au sein de l’orage,
Luit moins que son œil sous l’ombrage
Des bosquets du Guadalquivir.
 
A Séville comme à Grenade,
Maint amoureux en embuscade,
Adore en ses brûlants tourments
Moins blanches dents, bouche moins rose,
Et va dépensant vers et prose
Pour des petits pieds moins charmants.
 
Il lui plairait fort dans la plaine
De pousser jusqu’à bout d’haleine
Un noble et fringant palefroi,
Portant grelots à sa crinière ;
Puis d’agiter une bannière
Comme un héraut d’armes du roi.
 
On voit à ses airs d’Andalouse
Qu’elle serait folle et jalouse
D’un amant, son heureux vainqueur,
Et que son stylet de Tolède,
A sa rivale, belle ou laide,
Aurait bientôt percé le cœur.
 
Elle est le rêve de ma vie,
Et chaque jour je meurs d’envie
Que son corset plus négligent
S’entrouvre aux brises sous les saules,
Pour que la lune à ses épaules
Attache un doux reflet d’argent.
 
Non, jamais ineffable ivresse,
Dont le doux souvenir m’oppresse,
Jamais je n’oublierai le jour
Où sur son front posant ma lèvre
Je sentis une ardente fièvre
Avec un long frisson d’amour.

Les loisirs lyriques (1866)

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