François-Marie Robert-Dutertre

Le chant et l’amour.

Les festins font naître la joie
Et le franc rire et les bons mots ;
Mais lorsque la raison s’y noie
L’ivresse est le pire des maux.
Nous, les enfants de l’harmonie,
Chantons toujours, mais buvons peu ;
On sait que la cacophonie
Est fille du petit vin bleu.
 
Chantons, chantons, quand vient l’aurore,
Le chant du travail, chaque jour ;
Et près de celle qu’on adore
Chantons, le soir, un chant d’amour.
 
On est heureux auprès des belles
Bien plus qu’au fond d’un cabaret,
Et les cœurs seraient plus fidèles
Si Bacchus ne les égarait.
Le bonheur est au fond de l’âme
Quant au fond du verre est la lie ;
Un doux refrain qui nous enflamme,
Voilà la plus belle folie.
 
Chantons, chantons, quand vient l’aurore,
Le chant du travail, chaque jour ;
Et près de celle qu’on adore
Chantons, le soir, un chant d’amour.
 
Le chant est d’essence divine,
Orphée en enseigna les lois.
Aux bords des lacs, dans la ravine,
Sur les coteaux, au fond des bois,
Tout être chante en la nature,
Depuis l’homme jusqu’au grillon ;
Dans l’air résonne une voix pure,
D’autres chantent dans le sillon.
 
Chantons, chantons, quand vient l’aurore,
Le chant du travail, chaque jour ;
Et près de celle qu’on adore
Chantons, le soir, un chant d’amour.
 
Quand la guerre ébranle le monde,
Quand le drapeau flotte, éclatant,
Sur le canon qui tonne et gronde
Nos soldats marchent en chantant.
C’est par des chants que la victoire
Signale les plus grands hauts faits ;
Puis, après la moisson de gloire,
On entonne un hymne à la paix.
 
Chantons, chantons, quand vient l’aurore,
Le chant du travail, chaque jour ;
Et près de celle qu’on adore
Chantons, le soir, un chant d’amour.
 
Nous, la phalange orphéonique,
Cultivons donc un art si beau ;
Et sauvons du vice bachique
La raison, ce divin flambeau.
Par nos voix la foule est charmée,
Et l’on applaudit à nos chants ;
Et le cœur d’une femme aimée
Palpite à nos accords touchants.
 
Chantons, chantons, quand vient l’aurore,
Le chant du travail, chaque jour ;
Et près de celle qu’on adore
Chantons, le soir, un chant d’amour.
 
C’est nous qui ferons la conquête
Des peuples devenant unis ;
Nous porterons à cette fête
De la paix les rameaux bénis.
L’amour remplacera les haines
Au grand Festival solennel,
Et partout tomberont les chaînes
Au bruit du chœur universel.
 
Chantons, chantons, quand vient l’aurore,
Le chant du travail, chaque jour ;
Et près de celle qu’on adore
Chantons, le soir, un chant d’amour.

Les loisirs lyriques (1866)

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