François-Marie Robert-Dutertre

Le mépris des grandeurs.

Par l’esprit ou par la fortune
J’aime à voir tout homme grandir ;
Nulle gloire ne m’importune,
Je ne suis pas las d’applaudir ;
Je trouve même légitime
Que l’on rêve luxe et splendeurs ;
Mais si vous n’avez mon estime,
Je mépriserai vos grandeurs.
 
Ma tolérance est infinie ;
Prélats trônant au divin lieu,
Allongez votre litanie,
Si cela peut plaire au bon Dieu.
Des âmes qui vous sont si chères
Stimulez les saintes ardeurs,
Mais si vous mentiez dans vos chaires,
Je mépriserais vos grandeurs.
 
A vos honnêtes Éminences,
Ministres, je dois mon respect ;
Je verse ma part aux finances,
Je ne saurais être suspect.
Disposez donc de nos ressources,
Payez jusqu’aux ambassadeurs,
Mais si vous nous voliez nos bourses,
Je mépriserais vos grandeurs.
 
Immortels des Académies,
Sénateurs de l’esprit humain,
Que des Muses les voix amies
Vous indiquent le droit chemin.
Grands savants, porteurs de lunettes,
Soyez dignes, sinon frondeurs,
Mais si vous faites des courbettes,
Je mépriserai vos grandeurs.
 
Mesdames, fussiez-vous duchesses,
Pour vous je suis sans préjugé,
Mais ce n’est pas par des richesses
Que mon cœur peut être engagé.
En amour je suis philosophe,
Si donc, abusives rondeurs,
Vos charmes n’étaient qu’en étoffe,
Je mépriserais vos grandeurs.
 
Gentilhomme, marquis ou prince,
Passez sous le commun niveau ;
Si votre savoir est trop mince,
S’il est trop creux votre cerveau,
Si votre pied plat dans l’ornière
Accuse en vous trop de lourdeurs,
Ah ! Messieurs de la Melonnière,
Je mépriserai vos grandeurs.
 
Sur l’âpre sentier de la vie,
Escarpé de chaque côté,
Jusqu’au sommet que l’on envie,
Fier et debout, être monté ;
Sans ramper garder l’équilibre,
N’ayant pour appui que l’honneur,
Être vraiment un homme libre,
Voilà la suprême grandeur.

Les loisirs lyriques (1866)

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