Évariste de Parny

Élégie

Oui, sans regret, du flambeau de mes jours
Je vois déjà la lumière éclipsée.
Tu vas bientôt sortir de ma pensée,
Cruel objet des plus tendres amours !
Ce triste espoir fait mon unique joie.
Soins importuns, ne me retenez pas.
Eléonore a juré mon trépas ;
Je veux aller où sa rigueur m’envoie,
Dans cet asile ouvert à tout mortel,
Où du malheur on dépose la chaîne,
Où l’on s’endort d’un sommeil éternel,
Où tout finit, et l’amour et la haine.
Tu gémiras, trop sensible Amitié !
De mes chagrins conserve au moins l’histoire,
Et que mon nom sur la terre oublié
Vienne parfois s’offrir à ta mémoire.
Peut-être alors tu gémiras aussi,
Et tes regards se tourneront encore
Sur ma demeure, ingrate Eléonore,
Premier objet que mon cœur a choisi.
Trop tard, hélas ! tu répandras des larmes.
Oui, tes beaux yeux se rempliront de pleurs.
Je te connais, et malgré tes rigueurs,
Dans mon amour tu trouves quelques charmes.
Lorsque la mort, favorable à mes vœux,
De mes instants aura coupé la trame,
Lorsqu’un tombeau triste et silencieux
Renfermera ma douleur et ma flamme ;
Ô mes amis ! vous que j’aurai perdus,
Allez trouver cette beauté cruelle,
Et dites-lui : c’en est fait, il n’est plus.
Puissent les pleurs que j’ai versés pour elle
N’être rendus !... Mais non ; dieu des Amours,
Je lui pardonne ; ajoutez à ses jours
Les jours heureux que m’ôta l’infidèle.

Poésies érotiques (1778)

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