Charles Guérin

Ton image en tous lieux peuple ma solitude

Ton image en tous lieux peuple ma solitude.
Quand c’est l’hiver, la ville et les labeurs d’esprit,
Elle s’accoude au bout de ma table d’étude,
             Muette, et me sourit.
 
A la campagne, au temps où le blé mûr ondule,
Amis du soir qui tombe et des vastes couchants,
Elle et moi nous rentrons ensemble au crépuscule
             Par les chemins des champs.
 
Elle écoute avec moi sous les pins maritimes
La vague qui s’écroule en traînant des graviers.
Parfois, sur la montagne, ivre du vent des cimes,
             Elle dort à mes pieds.
 
Elle retient sa part des tourments et des joies
Dont mon âme inégale est pleine chaque jour ;
Où que j’aille, elle porte au-devant de mes voies
             La lampe de l’amour.
 
Enfin, comme elle est femme et sait que le poète
Ne voudrait pas sans elle oublier de souffrir,
Lorsqu’elle me voit triste elle étend sur ma tête
             Ses mains pour me guérir.

L’homme intérieur (1901-1905)

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