Charles Guérin

Octobre à son manteau d’azur fourré

Octobre à son manteau d’azur fourré de vair
Arbore ce matin les joyaux de l’hiver.
Le ruisseau fume, un fin brouillard couvre la berge,
Le jardin blanc miroite au soleil, l’herbe fond
Et chatoie et ses fils de perles se défont.
Un givre étincelant ouvrage d’argent vierge
Le buis sombre et la treille et les rosiers.
                           Et toi,
Qui foules, attentive au craquement des feuilles,
Le sol éblouissant et dur, pleine d’émoi
Et de pitié, d’un doigt malhabile, tu cueilles
Toute cette rigide et vaine floraison
L’œillet déjà tardif de l’arrière-saison,
Les pesants dahlias ruchés, les tristes roses
Étreintes par leur froide armure de cristal.
Et te sachant mourir, hélas du même mal,
Tu formes un bouquet de tes sœurs et tu poses
Tes lèvres à leur sein glacé, pieusement,
Tandis qu’ivre d’amour et d’un secret tourment,
Mes yeux mêlés aux tiens que la lumière dore,
Je cherche, ô mon enfant trop pensive, à puiser
Sur ta bouche en un long et sanglotant baiser
Ces parfums qu’une fleur gelée exhale encore.

Le semeur de cendres (1901)

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