Charles Guérin

Je voudrais être un homme.

Je voudrais être un homme : or rien, dans mes poèmes,
Ne touche au fond sacré de l’humanité même.
Aux heures de paresse on s’arrête à ce livre
Comme on entre dans une auberge somptueuse,
Pour y goûter un peu la paix voluptueuse
Qui coule des chansons et des belles musiques.
Les affligés s’en vont bercer leur peine ailleurs,
La femme reste indifférente, et les railleurs
Gardent le pli crispé de leur sourire amer.
On dit : « ce sont des mots, des mots, de simples mots.
 
C’est un enfant qui crie avant d’avoir souffert ;
Peut-être un baladin qui mime les sanglots...
Que vient-il nous parler de l’amour, celui-là,
Avec sa flûte et ses sonnets à falbalas ?
Oh ! Ce cortège exquis de petites douleurs
Qu’il précède en jetant sur leur chemin des fleurs ! »
Hélas ! Ceux qui m’ont lu ne disent que trop vrai.
Que n’ai-je le génie âpre qu’il me faudrait
Pour émouvoir profondément leurs cœurs secrets ?
Hélas ! Oui, je voudrais leur offrir en écho
Le livre où chaque amant revivrait ses baisers,
Et, puisqu’au fond tout est des mots, rien que des mots,
Savoir au moins les mots divins qui font pleurer.

Le cœur solitaire (1896)

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