Charles Guérin

Ô poète inquiet du monde

Ô poète inquiet du monde, qui médites,
Opposant un front ferme aux grands souffles salés,
Souviens-toi que l’amour, docile au pas de l’heure,
Ne descend pas deux fois dans la même demeure !
Un soir tu reviendras, sentant qu’il se fait tard,
Au toit natal, chargé d’une âme de vieillard.
Tes yeux verront dans les miroirs rongés de rouille
Le sel de l’Océan qui te reste aux cheveux.
Ta main tremblante et lasse attisera les feux,
Signe du noir automne humide et sa dépouille ;
Et regardant, pensif, presque en pleurs, aboyer
La chimère de bronze accroupie au foyer,
Songeant à la maison jadis pleine de joie,
Au temps où tu courais encore dans les massifs,
A tes parents couchés aujourd’hui sous les ifs,
A ceux qui dans la vie ont pris la juste voie,
Devant un pauvre feu sans cesse rallumé
Tu connaîtras l’horreur de n’être pas aimé.

Le semeur de cendres (1901)

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